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étaient mobilisés, pour agir sur le flanc découvert du déploiement de ses adversaires, en vue de retarder leur concentration et le coup de massue qui en était l’inévitable conséquence. Les quatre ou cinq torpilleurs bulgares n’étaient pas prêts, je le répète, et l’eussent-ils été que l’on avait de quoi les refouler avec la douzaine de bons « destroyers » dont on pouvait disposer, moyennant un peu d’activité. On a dit que les torpilles de ceux-ci n’étaient pas réglées. Mais, justement, dans la Mer-Noire et contre les torpilleurs bulgares, ce n’était pas de torpilles qu’ils avaient besoin. Leurs canons suffisaient...

Au fond de tout cela, avec l’insouciance et l’inertie turques, il y a peut-être cette préoccupation obsédante que l’on retrouve toujours à notre époque, quand il est question de transport de troupes par mer après le début des hostilités et qui se traduit par le principe absolu qu’on ne peut, qu’on ne doit rien tenter de semblable avant d’être maître de la mer.

Je viens de dire « à notre époque. » C’est qu’en effet, ce principe est nouveau ; et je crois bien que c’est nous qui l’avons formulé les premiers, obéissant involontairement aux suggestions de cette mentalité circonspecte, timide, que nous ont faite nos grands désastres d’il y a quarante ans.

De ce fâcheux principe les Japonais ne s’embarrassèrent jamais, ni en 1894, dans leur guerre contre la Chine, ni en 1904-1905, dans leur formidable duel avec la Russie, où ils ne furent réellement maîtres de la mer que tout à la fin, grâce à Tsou-Shima et lorsque, depuis longtemps déjà, leurs armées couvraient le Sud de la Mandchourie.

Ils perdirent bien quelques transports, ce qui donna même lieu, on s’en souvient, a d’admirables scènes d’abnégation et d’héroïsme ; mais enfin, pour un de coulé, — fortune de guerre ! — trente autres passaient sans encombre et en quelques semaines la grande armée du maréchal Oyama était constituée.

On ne s’embarrassait pas davantage d’une telle prudence chez nous, en Europe, dans les grandes guerres d’autrefois ; et si je remontais jusque dans l’antiquité, je retrouverais la même fermeté tranquille devant un genre de périls que, seul, un mirage d’imagination peut rendre particulièrement impressionnant.

Laissons là pourtant les grandes expéditions maritimes des anciens. Ne rappelons pas le passage de l’Adriatique par les