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au Sud d’Hanafart et de Guba-tépé. Ils n’auraient pas non plus assez de troupes mobiles, en dehors des garnisons, fort dispersées, de leurs batteries des Dardanelles, pour s’opposer, sous le feu de la flotte grecque, à la descente d’une division d’infanterie. Celle-ci, en deux heures, aurait gagné, avec ses canons de montagne[1], les hauteurs de 200 mètres d’altitude qui dominent Bokaia-kaleh-si, Kilid-Bahr et Sedul-Bahr.

Que deviendrait alors la défense des Dardanelles ?

Je veux bien que les garnisons turques, — les Ottomans ont fait leurs preuves de ténacité, — que les garnisons des ouvrages, dis-je, se refusent à battre la chamade et s’enferment dans les vieux châteaux forts qui, sur les trois points en question, servent de noyau aux groupes de batteries de côte ; mais les artilleurs, canonnés et fusillés par derrière, puisque les ouvrages ne sont pas paradossés, comment feraient-ils pour se maintenir et tirer sur les bâtimens grecs ?... Ceux-ci, n’ayant à craindre que les pièces de la côte d’Asie, longeraient de très près la côte d’Europe, ce que la hauteur des fonds rend toujours facile, et accableraient de projectiles légers, tirés à bout portant, les servans des batteries. C’est là, dans un forcement de passe, un moyen économique et suffisamment efficace de paralyser les ouvrages qui n’ont pas de « commandement » sur la mer.

Mais pourquoi, au demeurant, courir encore le risque de recevoir les coups des canons de la côte d’Asie, si difficile qu’il soit à ceux-ci de bien régler leur tir sur des navires dont le profil se confond avec les accidens du rivage opposé[2] ? Il n’est que d’attendre la nuit qui suivra l’établissement de la division de troupes grecques sur les hauteurs qui dominent les batteries d’Europe. Dans l’état de désorganisation où elles seront à ce moment-là et où les entretiendra un feu lent et continu des canons de montagne, le tir de nuit leur deviendra tout à fait impossible et celui des ouvrages de la côte d’Asie sera plus inefficace encore que le tir de jour.

Je vais plus loin et je prétends que la flotte grecque, bien pilotée comme elle l’est, choisissant une de ces nuits à demi

  1. Il est probable que la viabilité est fort défectueuse, en arrière de la route côtière qui relie tous les ouvrages des Dardanelles. Mais des canons de montagne passent partout, à dos de mulets. L’armée grecque n’en manque pas. Quant aux soldats hellènes, ce sont, on le sait, d’excellens fantassins en terrain accidenté.
  2. Ajoutez à cela qu’en tirant sur des bâtimens qui rasent la rive d’Europe, les obus des canons d’Asie atteindraient fréquemment les ouvrages opposés.