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moment, un député unioniste, sir Frédéric Bunbury, proposa un amendement improvisé, dont le texte écrit n’avait pas été communiqué, d’avance, au gouvernement. Or, cet amendement n’allait à rien moins qu’à infirmer la résolution votée trois jours auparavant et à retourner, si je puis dire, le budget irlandais en faisant bénéficier le Trésor de la Grande-Bretagne d’une somme très supérieure à celle qu’il devait, au contraire, débourser en faveur de l’administration nouvelle. M. Herbert Samuel repoussa l’amendement en quelques mots et l’on passa au vote. Mais, pendant que le ministre des Postes parlait, les Unionistes, sortant des coins où ils s’étaient dissimulés, semble-t-il, jusque-là d’après un mot d’ordre donné, garnissaient soudainement leurs bancs. Lorsque le whip libéral voulut battre le rappel de ses partisans dispersés, il était trop tard : le vote était déjà commencé et les derniers venus ne pouvaient plus y prendre part. Le résultat se chiffra par une majorité de 21 voix en faveur de l’opposition, et la proclamation du vote fut saluée par des transports de joie, dominés par le cri de : Démission ! que hurlaient 200 voix. Ce délire dura peu : au bout de quelques heures, une note laconique et dédaigneuse faisait connaître aux vainqueurs d’un moment que leur victoire était considérée comme non avenue et que l’ordre du jour précédemment établi aurait son cours comme si rien ne s’était passé. Le lendemain, M. Asquith, en personne, confirmait cette déclaration avec une brutalité dictatoriale qui le fit comparer, par un ami aussi clairvoyant que maladroit, à Cromwell dissolvant les restes du Parlement Croupion. Une scène de désordre et de violence s’ensuivit où aucun discours ne put être entendu et où les injures grossières furent mêlées à des voies de fait qui rappellent la bataille des chanoines et des chantres dans le Lutrin. A l’ouverture de la séance suivante, le speaker, d’une voix grave, pénétrée, à la fois sévère et suppliante, admonesta les combattans. Et c’était, assurément, un spectacle étrange que cette longue figure, dans son costume suranné, debout devant son trône gothique comme le spectre de l’Angleterre traditionaliste, se dressant au milieu de la démocratie moderne pour la morigéner en termes archaïques. A quels sentimens faisait-il appel ? Au patriotisme, à la concorde, aux égards que les partis, aussi bien que les hommes, se doivent entre eux, mais surtout au règlement, aux précédens, à l’étiquette parlementaire. On s’inclina