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rien à voir avec les questions internationales, avec la paix ou la guerre, avec la succession au Trône ; il ne pouvait toucher ni à l’égalité des cultes, ni aux services postaux, ni aux règlemens douaniers ; il ne pouvait légiférer que pour maintenir la paix et le bon ordre à l’intérieur de l’Irlande. Il contribuait pour sa quote-part aux dépenses générales du pays, et cette part, évaluée au quinzième de la dépense totale, ne pouvait être augmentée avant trente années. Gladstone, merveilleusement habile à manier et à grouper les chiffres, avait fabriqué à l’Irlande un budget initial doté d’un excédent de 400 000 livres.

Le Parlement irlandais n’était pas un parlement souverain ; il ne devait même pas jouir de tous les pouvoirs financiers dévolus aux parlemens coloniaux. Ses décisions pouvaient être réformées par le Conseil privé et, en appel, par le Judicial Committee de la Chambre des Lords. Devant cette ombre de parlement, une ombre de Cabinet lutterait avec une ombre d’opposition ; ce Cabinet prendrait toutes les attitudes, prononcerait toutes les formules, ferait tous les gestes qui, pour les spectateurs ordinaires, caractérisent l’existence ministérielle. Dublin aurait toujours son « Château, » où le lord-lieutenant donnerait des audiences et des dîners, mais des attributions nouvelles se grefferaient sur la nullité légendaire de ce personnage. Représentant toujours, en apparence, la couronne d’Angleterre, il serait, en réalité, le mandataire des ministres anglais. C’est sous leur inspiration qu’il exercerait son droit de veto, destiné à limiter la puissance législative du Parlement irlandais comme l’intervention du Conseil privé limitait l’action administrative du Cabinet et de ses agens.

En somme, cette première ébauche de constitution, considérée à un quart de siècle de distance, ne parait pas bien dangereuse, et, si je n’y avais assisté personnellement, j’aurais quelque difficulté à me représenter l’émotion extraordinaire qu’elle produisit dans l’Angleterre de ce temps-là. On eût dit que la grandeur, la sécurité, l’existence même du pays était en péril. Une révolution n’eût pas causé plus de trouble, une guerre n’eût pas créé plus d’alarmes. Je ne me souviens pas d’avoir rencontré à cette époque un seul Anglais qui fût sympathique au Home Rule. Dans le Parlement, la majorité des libéraux suivait son chef, la mort dans l’âme. Gladstone présenta son projet dans un discours qui restera le modèle accompli de cette éloquence