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Vois-tu les choses, et l’opposition est-elle assez radicale ? Il n’y qu’une solution, le canon, et je crois que c’est la seule à laquelle on pense. Mais on n’est pas prêt, il faut ne frapper qu’à coup sûr, et en attendant on doit laisser faire et temporiser. On masse les troupes, on les exerce, on les habille, elles reprennent bon air et bonne tenue, presque à vue d’œil, mais cela ne suffit pas. Elles ne sont pas solides, elles mettront la crosse en l’air, si elles approchent de l’ennemi et si on leur crie : « Vive l’armée ! » Il faut donc former un noyau très solide qui engagera l’action sur un coup d’éclat et enlèvera ensuite facilement l’armée. Le noyau, on le trouvera dans les gendarmes, les anciens sergens de ville enrégimentés, les marins,, d’anciens officiers sans troupes qui veulent former une garde d’élite, les volontaires bretons enfin qui vont former une petite armée. Les prisonniers reviennent, la Garde est en partie à Cherbourg. Les Prussiens ont modifié le traité et nous ont autorisés à avoir 100 000 hommes au Nord de la Loire. Ils seraient prêts à nous aider, il ne faudrait qu’un signe ; car ils en ont assez, et l’Internationale les inquiète ; puis ils convoitent toujours Paris et seraient trop heureux d’y entrer avec nous ou avec notre aveu. Ce serait un de ces secours que l’on subit et que l’on ne demande pas. M. Thiers a du reste tout en main. Il concentre tout dans sa tête. Réussira-t-il ? Il faut à coup sûr le laisser faire, il est le seul homme que nous ayons, et s’il échoue, il sera assez tôt de tomber dans le gâchis qui s’ensuivra. À quoi bon s’y jeter tête baissée ? La Chambre a été sur le point de le faire. Elle ne confirme que trop mes craintes. Depuis deux mois elle n’a pas encore su se grouper, « se diviser pour régner, » se donner des chefs, se former en partis ayant chacun leur ministère tout prêt. Elle est honnête et même intelligente, — spirituelle plutôt, — mais tellement dévoyée, incertaine, inquiète et nerveuse qu’elle ne s’entend sur rien, use ses forces et son temps en escarmouches puériles et se montre d’autant plus jalouse de ses prérogatives qu’elle se sent moins capable de les exercer. Versailles est curieux et vilain. Tout Paris y est, journaux, flâneurs et intrigans de toute espèce. Les tables d’hôte sont encombrées. Le Jockey Club s’installe dans l’ancien local de l’ambulance. Là, comme à Paris, on n’a pas conscience des événemens. On ne pense qu’à oublier tout, excepté soi-même. Les anciens bonapartistes se divisent : les purs conspirent, cela n’est