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ville libre, « voilà toute la différence. Pas de ruraux (ce sont les députés), pas d’armée, pas de roi surtout. Voilà où en est Paris, lassé d’ailleurs, absolument énervé, c’est-à-dire très impressionnable à la fois et très mou : voilà pourquoi les bourgeois ont laissé faire la Commune, pourquoi ils rient, se promènent, plaisantent à leur ordinaire, vont au café, au théâtre, au boulevard, chez les filles, laissant couler la tourbe, trouvant le spectacle drôle, boudant la province, se plaignant d’elle et ne faisant rien : l’inertie et la frivolité en un mot qui ont permis la Terreur, mais augmentées et généralisées et qui deviendraient fatales si les Belvillais ne partageaient la lâcheté générale. On verra des crimes isolés, parce qu’il y a trente mille bandits et repris de justice au pouvoir, mais ils sont bêtes, ils ne s’entendent pas et ils ne concevront rien de systématique. Ce ne sera pas une tragédie, on n’en fait plus depuis longtemps, pas même le mélodrame de la Terreur, quelque chose de plus misérable, une soirée d’Alcazar avec des promenades à la Morgue pendant les entr’actes. Les bourgeois ne feront rien. Les gens du monde et les journalistes, — qui se sont bien montrés au début, — ont tenté une démonstration. La fusillade, loin de les révolter, les a terrorisés. À l’heure qu’il est, Paris, furieux contre l’Assemblée, n’aidera nullement à la répression : tout ce qu’on peut attendre des bons quartiers, c’est qu’ils laissent faire. Quand les gardes nationaux se sont rencontrés, on a mis de part et d’autre la crosse en l’air aux cris de : « Vive la République ! » et l’on s’en est allé chacun chez soi. Qui sera le moins poltron ? On l’est également, mais il y a un côté plus canaille, et il l’emporte.

Les gens du Comité ne sont que des prête-noms. Derrière eux il y a les meneurs sérieux. Les premiers ne savent trop que faire de leur succès, mais ils prennent goût au pouvoir que les autres voudraient maintenant leur faire rendre. La discorde ne tardera guère à se mettre entre eux, mais il n’en faut pas espérer grand’chose, car ces gens auront beau se manger, l’espèce ne périra pas, ils ont pris la bonne recette pour ne jamais manquer de personnel, et il y aura toujours des niais et des gredins pour suivre les inconnus qui surgiront. C’est une couche sociale qui veut monter, déborder et se répandre. Ils ont leurs grands hommes inconnus et jusqu’à leurs poètes : c’est un monde où les idées creuses règnent, où les idées bêtes dominent, où le grotesque est original et le sale beau. Curieuses études pour