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même temps. Ce n’est qu’un coup de sonde, comme dirait Sainte-Beuve, mais je crois qu’il va au fond de l’abcès...

J’ai eu un peu de loisirs dans les derniers temps, j’en ai profité pour commencer un roman dont l’idée m’est venue à Tours, — roman de passion dans un cadre politique, — le roman des misères morales de l’Empire...


Versailles, 30 mars 1871.

Je t’écris aujourd’hui, mais je ne sais quand ma lettre partira. Je vais te donner à vol d’oiseau mes impressions depuis mon retour à Paris.

Ce que j’ai vu en arrivant a confirmé et dépassé toutes les observations entrevues d’abord, puis recueillies par moi à Bordeaux. Le siège a été un vaste trompe-l’œil. Les femmes ont eu tout le mal et les petits rentiers toute la souffrance. Les gens du monde ont formé de bonnes compagnies de marche, mais ils sont allés à la bataille comme on va au duel, pure affaire d’amour-propre, qui pouvait les mener à une mort honorable, mais nullement à une action militaire sérieuse. Quant au peuple souverain, il n’a rien fait que discourir, se griser, conspirer, paresser.

J’ai trouvé partout un amour-propre d’assiégé insupportable, mais ce n’est qu’un détail, dangereux surtout en ce sens que ces gens croient avoir sauvé l’honneur de la France et se proclament plus que jamais l’élite du premier peuple du monde.

Bref, loin d’avoir gagné au siège, Paris y a perdu. Les vices et les sottises ont grossi en se concentrant sur eux-mêmes. On n’a pas tardé à le voir. La ridicule affaire de l’enlèvement des canons t’est connue et tu en as appris les suites, comment la tentative pour les reprendre a échoué et comment le gouvernement a dû en toute hâte se replier sur Versailles. Ces émeutes ont un caractère tout particulier, bien nouveau et bien attristant. Voilà deux révolutions que je vois : le 4 septembre et le 19 mars, toutes deux accomplies par un beau temps, la population endimanchée se pressant sur les promenades, les cafés encombrés, Guignol poussant ses cris, et chacun courant voir passer le souverain. Ce sont des fêtes.

Ce serait terriblement burlesque si l’on n’assassinait pas et si au milieu de cette quiétude générale on n’était menacé d’une vraie guerre de sécession : il s’agit tout bonnement du morcellement