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dit-il. — On lui donne deux corps. La défaite d’Orléans arrive, ces deux corps deviennent le noyau d’une armée chargée d’une expédition des plus difficiles. Bourbaki a fait des prodiges de courage : il aurait fallu du génie, il n’en avait pas, il le savait ; les moyens matériels faisaient défaut, tout lui manquait ; le désespoir l’a pris et il a voulu se tuer.

Les élections ont été faites sous les multiples influences de ces impressions : les échecs militaires, la capitulation de Paris, une réaction complète contre le gouvernement de la Défense, et surtout, — ce que je prévoyais depuis longtemps, — la confusion établie à dessein entre les partisans de la guerre à outrance et les démagogues. Les élections n’ont qu’un sens, mais elles l’ont de la manière la plus accentuée : la paix à outrance. Vingt-cinq collèges jusqu’ici ont nommé Thiers parce que Thiers dès le mois d’octobre a voulu la paix et qu’on le sait disposé à accepter des conditions même très rigoureuses. Les élections signifient encore : ordre quand même. Il ne faut pas y voir autre chose et cette Assemblée n’a pas d’autre direction. Thiers est sans conteste le maitre de la situation.

Les élections de Paris et le déplorable état mental de cette ville soulèvent une question qui préoccupe tout le monde ; elle est tranchée pour le moment : le gouvernement n’est pas possible à Paris sans armée, on est dehors et c’est un bien. On songe beaucoup à transférer la capitale, à faire un Washington. On se rappelle que pendant plus d’un siècle la capitale a été en dehors de cette grande ville et les expériences faites depuis ne sont pas rassurantes. Paris est au commerce et aux étrangers, la bourgeoisie y veut avant tout la paix, la canaille y veut le lucre et le plaisir, les influences politiques y sont mauvaises. Si la chose est possible il faut la faire et profiter de l’occasion qui est unique...

Il faut donc faire la paix, faute de quoi nous perdrions le prestige que nous avons reconquis. On la fera, ce n’est pas douteux. Pour continuer la guerre, il faudrait que la nation entière se levât : or si elle se laisse lever, laissée à elle-même, elle ne veut que la paix. Au jour où l’armistice a été annoncé, des bataillons de mobilisés se sont mis en rang pour retourner chez eux. Rien n’a pu les arrêter. Ce que je t’écris depuis trois mois que je suis au milieu de cette épouvantable décomposition de toutes choses, te montre à quel point le mal est profond. Les