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on relevait l’honneur. Gambetta, « tyran de Tours, » n’est point ce que le font les journalistes. Comme tous les autres hommes de ce temps, il a rêvé de grandes choses, et, jeté au pouvoir, il a été au-dessous de ses rêves, il a été ballotté par cette mer confuse où gens et choses s’entre-choquent et s’usent et disparaissent grain par grain, misérablement. Il n’était ni méchant ni despote : mais il était le jouet des caprices d’un tempérament fougueux ; il appartenait à toutes les influences qui se succédaient autour de lui. C’est ce qui explique comment il a pu faire tant de choses opposées... Voilà où nous en étions à la fin de janvier. Quand la crise de Paris est arrivée, il y a eu ici quelque agitation. On avait formé des clubs et on y entendait chaque soir des Garibaldiens : anglais, slaves, espagnols, américains, tous agens de l’Internationale, quelques-uns fort habiles et résolus. Le mot d’ordre de ces gens, auxquels s’adjoignirent des délégués des villes du Midi (crème de la jactance méridionale, prêts à tout faire, sauf à se battre contre l’ennemi), se sont formés en comité avec ces deux mots d’ordre : Pas d’élections, le comité de Salut public. On a décidé qu’on en daignerait offrir la présidence à Gambetta. Il était tantôt une idole, tantôt un fantoche, suivant qu’il recevait ces messieurs ou qu’il ne les recevait pas. Enfin le dimanche, il y a dix jours, la manifestation annoncée a eu lieu : j’y étais, comme bien tu penses. Il y avait environ un millier de manifestans et quatre mille curieux. Un homme ivre a tiré un sabre, et près de deux mille personnes se sont mises en fuite. C’était un Anglais qui menait l’affaire avec un art de mise en scène et une haute charlatanerie que je n’ai pu m’empêcher d’admirer. On arrive devant la préfecture. L’Anglais monte à un balcon et harangue la foule. Gambetta caché derrière une fenêtre, en face, soulevant le rideau, tâchait de saisir quelques mots. Quelle injure et quelle misère ! Cependant les délégués, l’Anglais en tête, entrent dans le Palais : la conférence dure, la foule s’impatiente et demande son idole, assez tentée, sans le trop bien savoir, de la briser pour voir ce qu’il y avait dedans. Gambetta ne paraît pas. On ne répond rien, et la foule s’en va, comme la nuit tombait et que l’heure du dîner se faisait sentir. — La chose a avorté. — Le soir, on a ferme le club. Il y a ici peu d’agitateurs sérieux, et ils sont très poltrons. Il suffira de peu d’hommes résolus pour les mettre à la raison et faire respecter l’Assemblée. Mais les trouvera-t-on ?