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ces limites. Allons-nous changer tout cela ? C’est une très grande œuvre. Nous n’ignorons rien de ce qu’on peut dire pour ou contre elle, et assurément on peut dire beaucoup de choses en sa faveur. La Révolution a eu de bonnes raisons pour supprimer les provinces et créer les départemens ; on peut avoir de bonnes raisons aujourd’hui pour ranimer la vie provinciale qui s’est éteinte dans des compartimens trop étroits. Mais cette première esquisse d’une réforme à immense envergure sera l’objet d’un jugement qui ne sera pas toujours bienveillant. Le projet du gouvernement comporte des tableaux qui viennent à peine d’être publiés et qui soulèveront inévitablement des critiques. Qu’on y songe en effet : les départemens voisins se connaissent aujourd’hui fort peu, aussi peu quelquefois que des départemens très éloignés les uns des autres : si on en groupe deux ou trois qui ne se ressemblent pas par l’esprit et ne se rassemblent pas naturellement par les intérêts, on aura jeté dans le pays un grand trouble. Qu’arrivera-t-il aux élections prochaines si un département perd le nombre de députés auquel il est habitué et estime avoir droit, parce que ses votes auront servi à l’élection d’autres députés qu’il ne connaît pas, dont il aura vu pour la première fois le nom sur les listes qu’on lui aura confectionnées et qui seront élus hors de ses frontières ? Si les nouvelles circonscriptions sont bien faites, ces inconvéniens seront atténués. Si elles sont mal faites, on aura aggravé la réforme d’un coefficient d’impopularité sous laquelle elle sombrera. Soyons tout à fait franc : le danger serait que, sans se préoccuper de ce qui les rapproche ou de ce qui les éloigne les uns des autres, on groupât les départemens suivant leurs affinités électorales de manière à assurer, par des combinaisons et des dosages sa vans, la majorité à l’opinion aujourd’hui régnante, ou à celle qui régnait encore hier, mais qui est menacée d’être détrônée demain. S’il en était ainsi, on se serait peut-être assuré une majorité dite républicaine à la Chambre, mais quel serait le jugement du pays ?

Le Ministère Poincaré, nous dira-t-on, mérite plus de confiance. Soit : nous ne la lui marchandons pas. Il faut lui savoir gré, en tout cas, d’avoir posé des questions nouvelles qui nous arrachent aux préoccupations mesquines, aux intérêts subalternes, aux petitesses de tous genres auxquelles le gouvernement radical nous a condamnés depuis quelques années. Cette politique de « mares stagnantes, » bien qu’elle nous ait fait beaucoup de mal, n’a pas encore épuisé tout celui qu’elle peut nous faire. Les hommes d’hier sont à l’affût des circonstances qui peuvent, en le ramenant très bas, faire tomber le pouvoir