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puissent réussir à fermer les yeux du prince de Galles sur l’impardonnable défaut qui les accompagne ?

Enfin nous apprenons que Caroline, au moment où son père lui a transmis l’offre de son futur mari, s’était prise d’un amour passionné pour un jeune officier de l’armée hanovrienne, le major de Tobingen. Cet amour ne pouvait, naturellement, comporter aucune suite sérieuse ; mais il n’en reste pas moins que Caroline l’a sacrifié à sa soudaine ambition de devenir la femme du prince héritier d’Angleterre. En vain nous l’entendons s’excuser, plus tard, « de s’être accrochée à cette couronne comme un malheureux qui se noie s’accroche à une paille. » Toutes les tristesses de sa vie à Brunswick, entre sa mère et la maîtresse attitrée de son père, ne suffisent pas à la justifier d’avoir « commis la seule faute » dont elle consentît à se repentir. Tout au plus pouvons-nous, en lisant les deux volumes du beau livre que lui a consacré M. Lewis Melville, nous rappeler le mot prophétique de sa mère : « Caroline est née pour l’adversité. » Peut-être, en effet, a-t-elle été poussée à son insu par une fatalité de luttes et de souffrances qui nous impose aujourd’hui le devoir de lui pardonner jusqu’à cette « faute ? » C’est du moins ce que ne se lasse pas de nous affirmer son nouveau biographe. Il nous la montre victime de ses sentimens généreux autant et plus que de ses travers ou de ses ridicules. Le plaisir qu’a toujours eu Caroline de Brunswick à s’entourer d’enfans recueillis par elle dans les orphelinats, son ardeur à soulager toutes les misères qu’on lui signalait, sa naïve confiance et sa sincérité, c’est cela qui, d’après M. Lewis Melville, a le plus sûrement contribué à sa perte. Et combien, en tout cas, nous devons être reconnaissans à l’écrivain anglais d’avoir, ainsi qu’il l’a fait, définitivement affranchi la mémoire de son héroïne du terrible soupçon d’une autre « faute, » qui toujours jusque-là s’était acharné à peser sur elle, nous empêchant d’accorder librement notre respectueuse et légitime pitié à cette pathétique figure de « reine privée de ses droits ! »


T. DE WYZEWA.