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« jolie, vive, spirituelle, tout à fait aimable ; » et en vérité tous ses portraits, dont un grand nombre ont été reproduits dans l’ouvrage de M. Melville, s’accordent à nous montrer un beau visage régulier et plein de fraîcheur, avec un mélange tout original de douce rêverie allemande et d’énergie pratique. Mais c’est un visage sans grâce, tout de même que l’était aussi la taille trop épaisse, sur des jambes trop courtes. Avec cela, nul goût naturel d’élégance, pour ne rien dire de l’absence d’autres qualités plus indispensables encore chez la femme du « premier gentleman de l’Europe. » Le 6 mars 1795, lord Malmesbury notait dans son journal intime : « J’ai eu aujourd’hui un entretien avec la princesse sur les thèmes de la toilette et de la propreté. Dans la mesure où cela m’était possible, j’ai essayé d’inculquer la nécessité d’une attention extrême accordée à tous les détails de la mise, aussi bien pour ce qui est caché que pour ce qui est vu. Car je savais que la princesse portait des jupes, des bas et du linge grossiers, toujours mal lavés ou changés trop rarement. J’ai assuré qu’une longue toilette était infiniment préférable à la promptitude et à la négligence dont elle se vantait en pareille matière. Il est singulier de voir à quel point son éducation, sous ce rapport, est insuffisante. » Que l’on imagine ce linge « grossier » et cette « promptitude » en fait de toilette découverts chez la nouvelle princesse de Galles par lady Jersey, et aussitôt dénoncés par elle à l’impeccable dandy que l’on sait, à l’illustre rival et conseiller de Brummel !

Et que l’on imagine aussi l’effet désastreux de l’arrivée, à la cour d’Angleterre, d’une princesse allemande dont tous ceux qui l’avaient approchée jusque-là s’accordaient à déplorer le « manque absolu de tact, » — d’une princesse que ni les prières ni les menaces de ses parens n’avaient pu empêcher d’adresser à tout venant les questions les plus indiscrètes, et qui toujours avait ouvertement préféré la société des bourgeois ou des gens du peuple à celle des hôtes aristocratiques du palais paternel ! Enfant, déjà, elle avait étonné et alarmé tout le monde par l’incroyable liberté de son langage ; et il n’y a pas une page du journal ni des lettres confidentielles de lord Malmesbury qui ne nous révèle l’inquiétude causée au diplomate anglais par ce même défaut, — le seul, d’ailleurs, qu’il ait observé chez elle, à moins d’y joindre l’antipathie susdite pour les « longues toilettes. » Car ni lord Malmesbury ni les autres témoins de la vie de Caroline de Brunswick ne se font faute de célébrer les précieuses qualités morales de la princesse, sa droiture et sa bonté, la tendre et charmante noblesse de son cœur. Mais comment espérer que ces vertus de la jeune femme