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pure « convenance » politique comme l’était celui-là ne portât point sur la plus belle des princesses proposées, mais au contraire sur la plus insignifiante et médiocre en toute façon.

C’est dans ces conditions que le jeune prince, malgré tous les conseils et toutes les remontrances de ses parens, avait déclaré son dessein d’épouser la fille cadette du duc Charles de Brunswick et de la duchesse Augusta, sœur aînée du roi George III. Caroline de Brunswick avait alors vingt-six ans ; et sa famille tout de même que son entourage avaient presque perdu l’espérance de la voir se marier. Elle avait cependant consenti à épouser le prince de Galles, avec la ferme résolution d’être pour lui une compagne dévouée, et de tâcher de son mieux à le rendre heureux. Après de longs délais, causés par l’insécurité des routes de terre et de mer, elle s’était embarquée à Stade, le 24 mars 1795, sur une frégate anglaise. A Greenwich, lorsqu’elle y était arrivée, le 5 avril suivant, elle avait eu l’ennui d’apprendre que personne n’était encore là pour la recevoir : première humiliation que lui infligeait lady Jersey, nommée sa dame d’honneur sur la demande formelle du prince de Galles, à l’extrême étonnement de toute la cour. Puis lady Jersey était venue, et l’on s’était mis en route vers Londres, dans un carrosse où la maîtresse du fiancé avait eu l’audace de vouloir prendre place à côté de la fiancée, sous prétexte de ne pouvoir jamais tourner le dos à l’attelage sans avoir la migraine.

Enfin la future princesse de Galles avait pris possession de l’appartement qui lui était réservé au palais de Saint-James. Elle s’y trouvait seule avec le diplomate qui l’avait amenée, lord Malmesbury, quand le prince de Galles était entré. Il s’était avancé vers elle, l’avait dévisagée d’un rapide coup d’œil, et, sans lui dire un mot, s’en était allé à l’autre extrémité du salon. « Harris, — avait-il demandé à son valet de pied, — apportez-moi tout de suite un verre d’eau-de-vie ! » Et comme lord Malmesbury s’était permis d’insinuer que, peut-être, « Son Altesse Royale ferait mieux de se contenter d’un verre d’eau, » le prince avait lâché un juron, s’était écrié : « Il faut que j’aille voir la Reine ! « et était reparti. Le surlendemain, 8 avril, l’archevêque de Cantorbéry avait célébré le mariage. Tout le monde avait été frappé de la mine contrainte, défaite, du marié. « Le pauvre prince avait l’air d’être la mort en personne, » lisons-nous dans une lettre de lady Maria Stuart, écrite au sortir de la chapelle royale. Mais la cause véritable de cet abattement n’avait pas tardé à être connue. « Mon frère, — racontait le duc de Bedford, — était l’un des deux ducs qui soutenaient le marié