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des vers cruellement médiocres. Je ne choisis pas mes exemples, mais il faut pourtant citer des exemples. Agamemnon s’adresse à Ménélas :


Je t’accuse à mon tour, mais je te parlerai
Sans trop enfler la voix, sans lever les paupières
Insolemment. Écoute, et je me souviendrai
Et quel est notre rang et que nous sommes frères.
Je m’étonne vraiment voyant ce que ton cœur
Communique à tes yeux contre moi de fureur.
En quoi t’ai-je offensé ? Depuis quand ? Ton Hélène
Abandonna ta couche, oubliant la pudeur.
Tu la gardais bien mal. Dois-je en porter la peine ?…
Et tu pâlis de rage et tu n’es pas content !
Je ne suis qu’à blâmer, dis-tu ? Toi qui ne cesses
Do soupirer après de honteuses mollesses.


Il est trop évident que le mot paupières est mis ici pour le mot yeux, qui avait le tort de ne pas rimer avec frères. Et comment en effet ne pas s’étonner de cette communication faite à des yeux par un cœur ? En signifie : de ce que tu la gardais bien mal. Et tu n’es pas content, dit à un homme dont nous savons déjà qu’il a pâli de rage, fait songer à cet assassin auquel on reprochait de « manquer de délicatesse. » Quant aux « honteuses mollesses, « un écrivain français les eût sans doute appelées de « honteuses voluptés. « Moréas était un étranger écrivant en français ; nous devons savoir beaucoup de gré aux étrangers qui choisissent notre langue de préférence à toute autre, et même à l’espéranto ; seulement ils sont sujets, quand ils l’écrivent, à certaines incertitudes et impropriétés de langage, où nous sommes bien forcés devoir des provincialismes et des exotismes plutôt que des beautés.

Le chœur répond :


On ne distingue point le faux du véritable,


car le mot vrai, appelé par le sens, ne rime pas avec aimable, qui est un peu plus bas. Il est fort heureux que ce soit Moréas qui ait écrit des vers tels que ceux-ci :


Trop épris de moi-même et rempli du venin
De la présomption que ma faiblesse abuse…

De la corruption naît le dissentiment…


car s’ils eussent été de Ponsard ou d’Augier, on les eût trouvés d’une