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laquais, sans carrosse, sans dentelles, sans rubans, sans épée et même sans montre. Et cet accord de l’homme et de la doctrine, cette adhésion de toutes les énergies d’une âme à une idée qu’il croit juste, confère à cette idée une singulière puissance d’expansion. Il n’y a pas que la thèse, il y a l’accent avec lequel on la soutient. Bien avant l’Emile, hygiénistes et moralistes avaient dénoncé les méfaits de l’emmaillotement, et conseillé aux mères d’allaiter leurs enfans ; mais, comme Buffon le constatait lui-même, Rousseau seul a su se faire écouter. Il en est de même pour la plupart de ses idées : elles ne lui appartiennent pas ; mais il les a vivifiées et, en quelque sorte, recréées par la foi qu’il leur a donnée et par les souffrances qu’elles lui ont values ; et, pour en revenir à la si juste intuition de Mme de Staël, « il n’a rien découvert, mais il a tout enflammé. »


III

Ainsi toute étude sur l’œuvre de Jean-Jacques nous ramène finalement à Jean-Jacques lui-même, pour y chercher le vrai sens de l’œuvre. La grande trouvaille de Jean-Jacques, ce ne sont pas ses idées, c’est, si l’on peut dire, sa vie, sa personne, c’est tout ce qu’il y a d’unique dans cet être unique qui s’est appelé Jean-Jacques Rousseau. En ce sens, les Confessions ne sont pas seulement le couronnement de l’œuvre ; elles en sont l’explication, parce qu’elles en unifient les divers aspects, et nous permettent d’y voir autre chose qu’un paradoxe tout cérébral. Mieux on connaîtra la vie de Jean-Jacques, — et non pas tant les événemens tout bruts que les émotions qu’ils ont suscitées, — plus on aura chance de comprendre son œuvre, et l’exacte portée de cette œuvre. Car cette œuvre n’est qu’une immense « confession, » dont il s’agit de retrouver tous les aveux, pour ne pas les interpréter à contresens. Ai-je besoin de rappeler que certaines pages de l’Emile et de la Nouvelle Héloïse sont de vrais fragmens autobiographiques, qu’il faut annexer en appendice aux Confessions ? Mais ce n’est peut-être pas dans ces pages volontairement confidentielles que se trahit surtout ce besoin de confidence, ou plutôt cette impossibilité à sortir de soi. Devant telle formule, qui est, en apparence, un principe général, il n’y a parfois que le souvenir d’une émotion personnelle. Quand Rousseau rappelle dans l’Emile « combien la première épreuve de la