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ne nous a-t-il pas dit lui-même que son livre de chevet, à cinquante ans passés, comme à vingt-cinq ans, ce fut les Entretiens sur les sciences du Père Lami ? Non seulement le Père Lami lui traça son plan d’études, lui apprit à lire avec méthode, et plume en main, mais il le fit regarder plus haut que l’acquisition immédiate du savoir : Il « lui apprit à regarder Dieu dans ses études, » à prolonger par la perspective de l’éternité le spectacle de cette vie ; il lui fit voir que le monde, « infecté » et « pestiféré, » n’offrait qu’une « confusion de misérables qui tombent les uns sur les autres, » où l’homme épris « de vérité et de justice » ne peut être que malheureux ; il lui fit enfin comprendre que la régénération de l’âme n’est possible que dans le silence de la retraite. — Le Traité de l’opinion, du marquis de Saint-Aubin, est aujourd’hui, à ce que je crois, un peu délaissé du public. Celui pourtant qui s’offrira le divertissement méritoire de lire ces six in-douze compacts, restera étonné de tout ce que Jean-Jacques lui doit. C’est dans cette encyclopédie historique et philosophique, beaucoup plus que dans celle de Diderot, qu’il puisera une bonne partie des faits dont il étalera sa doctrine. — « Le Spectateur me plut beaucoup, écrit-il dans les Confessions, et me fit du bien. » Je le crois sans peine. Addison était sensible et pieux ; il traitait avec éloquence et gravité les grands lieux communs où se complaît la méditation humaine ; il montrait la Providence dans les prodiges de l’instinct et la nécessité de la vie future dans les injustices d’ici-bas ; il vantait les bienfaits de la religion, source de tout vrai bonheur, dénonçait la fourberie des bigots, et négligeait les mystères du dogme pour exalter la morale, où résidait, selon lui, l’essentiel du christianisme. C’était un Vicaire savoyard, plus timide et moins conséquent. — Voici encore le Spectacle de la Nature, de l’abbé Pluche, un des livres les plus populaires du XVIIIe siècle, un de ceux que Rousseau, jeune précepteur, regardait comme indispensables dans toute éducation, précisément parce que ce livre avait été un des maîtres de la sienne. C’est le bon Pluche, qui a entretenu dans son âme cette admiration attendrie pour les merveilles de la nature et pour leur auteur, cette défiance à, l’égard des philosophies systématiques, cette foi robuste en l’infaillibilité du sentiment.

Parfois, et jusque dans les plus petits détails de la vie et de l’œuvre de Jean-Jacques, on voit réapparaître une réminiscence