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imposante. A Paris, la Bibliothèque de la Chambre des députés, qui a pu recueillir partiellement les papiers provenant de Thérèse ; à Neuchâtel, la Bibliothèque municipale, héritière de Du Peyrou ; à Genève, la Bibliothèque publique, à laquelle des donations successives ont apporté pièce à pièce presque toutes les richesses de Moultou, sont aujourd’hui les principaux centres des documens rousseauistes ; et le travailleur, qui les voit s’étaler devant lui pour la première fois, éprouve en leur présence autant de découragement que de plaisir.

C’est en effet un taillis bien embroussaillé que les manuscrits de Jean-Jacques. Si plusieurs de ses cahiers de brouillons ont disparu ou ont été détruits, il en reste encore près d’une douzaine, et très touffus, où le chercheur a tout loisir de faire des découvertes et de s’égarer. — Sauf, je crois, le second Discours, toutes ses grandes œuvres sont encore là, écrites de sa main. Pour telle page de La Nouvelle Héloïse, nous pouvons lire aujourd’hui encore quatre rédactions autographes, parfois très différentes ; telle page de l’Emile s’offre à nous en cinq états. Que faire devant ces trésors peut-être surabondans ? Ni la Julie, ni même l’Emile ne sont, il me semble, un de ces livres uniques et inépuisables comme les Pensées, dont on publiait naguère le fac-similé intégral ; mais, pour la richesse du fond ou l’importance historique, on peut, sans injustice, les comparer aux Essais. Irons-nous en réclamer toutes les variantes, parfois inextricables en leur pullulement, comme on nous donne aujourd’hui celles de Montaigne ? Et, quand bien même le public serait tenté de les réclamer, qui serait assez courageux ou assez naïf pour s’atteler à pareille besogne ? Et quel éditeur accepterait, le cas échéant, de coopérer avec le bon travailleur idéaliste qui l’entreprendrait ? Il existe à la Bibliothèque de Genève un gros manuscrit de Rousseau en trois volumes sur les Institutions chimiques[1] : c’est un texte inachevé, mais très soigné, et tout prêt pour l’impression ; et il s’en faut de beaucoup qu’il soit sans intérêt ; mais ici encore les bonnes volontés des éditeurs se sentiront-elles pas défaillantes ? J’ai rappelé l’inestimable valeur documentaire des lettres de Rousseau ; mais, pour bien des lettres qui sont déjà publiées, voici que je retrouve les minutes, toutes raturées, dans un cahier de brouillons, parmi

  1. M. Théophile Dufour en a publié des extraits, précédés d’une notice, dans la Semaine littéraire de décembre 1904 (tirage à part, avec additions).