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à ne point dépasser leur auditoire, soucieux de ne pas demander plus qu’on ne saurait obtenir, habiles à obtenir ce qui est bien, ce qui, en tout cas, est mieux.

Notre Fénelon veut être efficace ; et il l’est : cela lui fait, parmi les moralistes, une place à peu près singulière.

Ce n’est pas un rêveur. Il ne lance point au hasard les formules d’un idéal extraordinaire ; il donne des préceptes qui aient leur usage assez facile et bienfaisant. Il a choisi, pour être écouté, sa clientèle : c’est, en somme, la bourgeoisie parisienne, assez riche ; et c’est, en province ou ailleurs, la bourgeoisie qui ressemble à notre bourgeoisie parisienne. Il sait qu’il s’adresse a des gens qui entendront telles et telles choses ; il sait ce qu’il leur peut demander, ce qu’ils sont capables de faire, ce qu’ils n’ont pas le droit de refuser. Il s’adresse à eux avec assurance.

Cette clientèle est nombreuse ; elle est influente. Et qu’on ne dise pas qu’elle est plus commode qu’une autre. J’ai connu, dans une paroisse opulente, un excellent prêtre qui d’abord avait été missionnaire ; et il disait :

— Les nègres, les Chinois, les Peaux-Rouges, ce n’est rien, auprès de mes blancs de la messe d’une heure !...


Françoise est aujourd’hui célèbre : elle a reçu tant et de si charmantes lettres d’un oncle vigilant ! Et nous la regardons un peu comme une sœur d’Henriette, celle qu’a inventée Molière. Toutes deux ont des qualités et des vertus françaises. Elles sont réfléchies, intelligentes, posées, très différentes d’une Ophélie ou d’une Charlotte, moins poétiques certainement que ces deux héroïnes, pas du tout folles. Mais Françoise est de son temps : l’aurore du XXe siècle ; un terrible temps, pour une petite âme qui va s’installer dans la vie.

Un temps bousculé, un temps où l’on voit s’obscurcir les indispensables évidences. A coup sûr, Françoise n’a pas lu les philosophes ; et elle ne connait pas exactement les idéologies qu’ont improvisées nos penseurs, gaillards imprudens. Mais l’atmosphère où elle a grandi était une atmosphère d’orage. L’oncle a eu peur pour elle. Et elle a été, par les soins de l’oncle, très bien élevée. Il a veillé à son adolescence, puis à son mariage, à son ménage.