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d’accomplir une brusque révolution que la sociologie et l’expérience condamneraient, mais d’effectuer avec art et tout en ménageant toutes les transitions, un redressement graduel. Il ne s’agit pas d’établir une identité de situation entre les indigènes et les colons, mais des équivalences, tenant compte des traditions, des milieux et des mentalités.

Quant au Maroc, notre tâche y est singulièrement ardue, au triple point de vue militaire, financier et diplomatique. Nous avons acquis, dans nos autres colonies nord-africaines, une expérience qui doit nous y servir. La France, cela est triste à dire, n’a obtenu aucune prime de gestion au Maroc. On peut espérer, néanmoins, que, avec le temps, l’Allemagne prendra un intérêt un peu moins vif et un peu moins circonstancié aux choses marocaines ; ses interventions récentes sont dues plutôt à une rivalité politique qu’à de réels besoins économiques. Quant à la France, elle ne retirera de son action au Maroc, pendant longtemps, aucun bénéfice compensant l’importance de ses charges ; mais, tout en maintenant les critiques très nettes que nous avons faites de notre politique récente en ce pays, nous reconnaissons qu’on peut alléguer qu’un grand peuple historique comme la France a des besoins d’imagination qui demandent à être satisfaits ; si nous nous montrons plus avisés et plus heureux dans l’occupation et la direction du Maroc que nous ne l’avons été dans les laborieux préliminaires de notre prise de possession, il est possible qu’un jour, qui n’est pas prochain, on puisse joindre à ces satisfactions d’imagination des avantages, politiques et économiques, plus substantiels.


PAUL LEROY-BEAULIEU.