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Algérie et sans convier toute l’Europe à une sorte d’aréopage pour fixer les conditions de notre action marocaine[1].

On a procédé autrement : les choses ne sont plus entières ; nous ne récriminerons pas, ce serait œuvre inutilement rétrospective. Les puissances, ou plutôt la principale d’entre elles, ont consenti à ce que nous établissions notre protectorat au Maroc, à la condition de n’y jouir d’aucun avantage économique. On a donné une extension tout à fait inusitée à la formule bien connue de « la porte ouverte ; » celle-ci s’entendait simplement de l’égalité douanière pour tous les pays. Accorder cette pleine égalité, c’était déjà une grande concession de la part d’une nation qui va avoir à sacrifier un grand nombre de vies de ses enfans et des centaines de millions de francs, sinon plusieurs milliards, pour occuper, pacifier et développer un pays primitif. Mais l’égalité douanière n’a pas suffi à l’Allemagne : elle a stipulé que, pour tout travail public, quel qu’il soit, pour toute fourniture publique, le régime de l’adjudication, sous la surveillance des représentans des différentes nations, doit être appliqué. Résumons tout ce système : on a refusé opiniâtrement à la France toute compensation spéciale pour ses sacrifices d’hommes et d’argent et, pour employer un mot technique, toute espèce de prime de gestion. C’est, croyons-nous, une situation sans aucun précédent dans le monde entier.

Le Maroc qu’on nous autorise à pacifier et à administrer, sans nous permettre d’en tirer un avantage économique spécial quelconque, il nous reste à l’occuper. Ce n’est pas chose aisée.

D’abord, qu’est le Maroc ? Il flotte autour de cette contrée tout un nuage de légendes qu’il est nécessaire de dissiper, si l’on veut avoir une vue nette et exacte du pays. Le Maroc, considéré comme s’arrêtant au Sud à l’Oued Draa, s’étend sur 500 000 kilomètres carrés environ : c’est à peu près la superficie de l’Algérie et 8 p. 100 de moins que celle de la France. On a vu que l’Algérie comprend trois régions, trois bandes juxtaposées, ce que l’on appelle le Tell, région fertile qui borde la mer, les hauts plateaux encore cultivables qui dominent le Tell, enfin l’étendue désertique offrant de maigres ressources à la culture et au pâturage. Le Maroc, vu de l’Atlantique et non plus de la Méditerranée,

  1. Outre nos ouvrages : l’Algérie et la Tunisie et la Colonisation chez les Peuples modernes, on peut consulter à ce sujet notre article paru dans la Revue du 1er janvier 1908 sous ce titre : la France dans l’Afrique du Nord : le Maroc.