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Il est aussi certains faits que l’on néglige et qui ont leur importance quand on parle des immunités des colons. Les premiers colons venus dans le pays ont dû faire une foule de dépenses qui concernent les pouvoirs publics dans les métropoles : construction d’églises, d’écoles, de maisons de poste, de chemins, foncement de puits où toute la population environnante s’abreuve et abreuve ses bêtes ; ils continuent encore à fournir gratuitement des matériaux pour les routes, à faire gratuitement les transports de la poste, etc. Si l’on établit en Tunisie les impôts d’Europe, il ne sera que juste que les pouvoirs publics se chargent de toutes ces installations, les rachètent aux colons et les dispensent de toutes ces corvées librement assumées ; or, cela représentera dans bien des cas cinq ou six années, sinon huit ou dix, de taxation.

Malgré les incidens récens et la tension actuelle des rapports entre colons français, indigènes musulmans et Italiens, la situation de la Tunisie ne nous apparaît pas comme définitivement inquiétante. Il n’y a entre les différentes races aucun grief profond, aucun fait irrémédiable. Il ne faut pas, cependant, que les Français tombent dans le défaut si bizarre des Allemands de vouloir être aimés par tous et pour eux-mêmes. L’échauffourée soudaine de Kasserine, il y a quelque temps, où plusieurs colons furent massacrés, celle plus récente du mois de novembre à Tunis même, témoignent que la France, tout en étant confiante, doit prendre certaines précautions ; il ne faut pas trop dégarnir la Tunisie de troupes françaises ; il est toujours nécessaire qu’il y en ait un effectif de quelque importance : des surprises fâcheuses autrement pourraient toujours se produire.


IV

Nous arrivons au Maroc et nous serons bref à ce sujet. Nous avons, depuis une douzaine d’années, certains de nos lecteurs s’en souviennent peut-être, élevé bien des objections contre la politique de la France au Maroc. Cette politique nous apparaissait comme aventureuse et en partie décevante. Nous eussions désiré que la pénétration française au Maroc s’effectuât graduellement en partant de la base solide que nous avions en