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autres, vivaient, jusqu’à ces derniers temps, en approximative concorde. Ils sont maintenant en mésintelligence et plusieurs même en antagonisme aigu. Deux causes y ont contribué : la première, c’est la représentation des deux catégories principales : l’une par l’intelligence et les capitaux, l’autre par le nombre, dans des assemblées consultatives ; la seconde, c’est la guerre italo-turque. On avait, en 1890, constitué une conférence consultative, sorte de conseil de la résidence, composée de Français élus par les Chambres de commerce, les sociétés d’agriculture et quelques autres corps : c’était une très heureuse représentation des intérêts qui eut pu suffire à la Tunisie pendant un demi-siècle. L’esprit d’idéologie qui domine nos gouvernemens fit modifier profondément, en 1896 et en 1905, l’origine de cette Assemblée en lui donnant pour source le suffrage universel, fractionné, il est vrai, en divers compartimens. Que, dans un pays ayant une population d’environ 1 800 000 âmes, on instituât le suffrage universel pour 25 000 Français qui s’y trouvaient alors, ou plutôt pour 7 000 ou 8 000 électeurs (membres des familles déduits), dont un bon tiers de fonctionnaires, ayant un intérêt spécial à attirer à eux la plus forte partie possible du budget, c’était, certes, sous prétexte des droits de l’homme, un singulier oubli des conditions nécessaires d’un bon gouvernement dans une population aussi peu homogène. On introduisait ainsi en Tunisie le virus politicien ; on fut naturellement conduit bientôt après à donner aux indigènes une représentation dont les membres sont désignés par le gouvernement. Les deux élémens en face l’un de l’autre dans cette Assemblée montrèrent un antagonisme tellement aigu qu’on jugea utile, au moins provisoirement, de les séparer en deux Chambres ou sections distinctes.

Les Tunisiens ont toujours eu une bourgeoisie raffinée, à l’esprit cultivé ; depuis notre domination, les enfans de cette bourgeoisie indigène fréquentent nos écoles, apprennent notre langue, vont parfois à nos universités de France, prennent des grades et commencent à remplir les professions libérales d’avocats, de médecins ou celles qui y avoisinent. La révolution turque, qui substituait au despotisme vieilli d’Abd ul Hamid le despotisme d’un groupement d’intellectuels, accueilli avec la plus grande faveur par les radicaux d’Europe, eut du retentissement dans les classes lettrées de Tunisie. Les « Jeunes-Tunisiens »