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finie à celle de l’armée, vous désigne à mon choix. Mac Mahon a été malheureux à Frœschwiller et Canrobert vient d’avoir son prestige égratigné au camp de Châlons. Il n’y a donc que vous d’intact, et c’est un ordre que je vous donne. » L’acceptation de Bazaine acquise, l’Empereur entre chez Le Bœuf et lui dit d’un ion de bonté : « Ni destitution, ni démission : nous sommes destitués tous les deux. Je quitte le commandement de l’armée ; il n’y a plus de major général. »


L’Empereur, s’il avait été à Paris, aurait défendu son minisière comme il avait couvert son major général. Il voulut, du moins, ne pas nous laisser ignorer les sentimens qu’il nous conservait. De Châlons, du fond même de sa détresse, il m’écrivit :

« Châlons, 19 août 1870. — Mon cher monsieur Emile Ollivier, — J’ai été si préoccupé des événemens militaires que je n’ai pas encore pu vous dire combien j’avais regretté votre départ du Ministère. Vous m’avez donné tant de preuves de dévouement que je m’étais habitué à compter sur vous pour aplanir les difficultés et imprimer aux affaires une marche ferme et exempte de faiblesse. J’espère néanmoins que nos relations continueront à être aussi intimes que par le passé. Je fais mes efforts pour tâcher de regagner le terrain perdu. Le pourrons-nous ? Dieu le sait !

Croyez, mon cher monsieur Emile Ollivier, à ma sincère amitié. — Napoléon.

« Exprimez de ma part aux membres de l’ancien Cabinet toutes mes sympathies. »

Voilà donc la motion insultante, votée par la pusillanimité de la Chambre, condamnée par celui qui, plus que personne, avait-été à même d’apprécier la valeur morale, intellectuelle et civique du Ministère du 2 janvier. En perdant ce ministère qui était vraiment le sien, il sentait qu’il perdait son dernier espoir de salut, et que le suicide allait commencer.


EMILE OLLIVIER.