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s’abandonne au destin. Et il rentra tristement dans sa chambre à coucher. « Ce n’est pas au milieu de la tempête, dit-il encore au prince Napoléon, qu’on change de pilote et d’équipage. »

Il éprouva bientôt qu’il n’avait plus au gouvernement de véritables amis, et que la Régente, hallucinée par les illusions de ses pauvres conseillers, croyant obéir à des intuitions de son cœur, secondait les pires imprévoyances d’une politique effarée aussi dépourvue de bon sens que de grandeur. Elle envoya un homme de son entière confiance, le capitaine de vaisseau Duperré, officier des plus séduisans et des plus persuasifs, ayant aux Tuileries son libre parler, expliquer à l’Empereur que son retour à Paris était impossible : « S’il revenait, on lui jetterait à la face plus que de la boue. » Il devait en outre insister sur la nécessité de sacrifier sans retard Le Bœuf : l’opinion publique le rendait responsable des commencemens malheureux de la campagne, des ordres et contre-ordres qui l’avaient compromise ; le prestige de l’Empereur ne resterait intact que si, en répudiant son major général, on confirmait l’accusation publique. Enfin, Duperré devait recommander de transmettre la direction de l’armée à Bazaine : lui seul inspirait confiance.

Sur le retour à Paris, l’Empereur était très perplexe. Il aurait pu dire : Vorrei e non vorrei. Connaissant mieux que personne son inaptitude physique à supporter les charges du commandement, il se sentait disposé à rentrer aux Tuileries et à se remettre à la tête de son gouvernement, mais il n’osait affronter la réprobation dont on le menaçait, s’il rentrait en vaincu dans la capitale d’où son armée était sortie acclamée par l’espérance publique. Finalement, il se montra coulant et promit de renoncer à quitter l’armée. Il consentit à augmenter l’importance de Bazaine : il l’investit du commandement des 2e, 3e, 4e corps et de la Garde, et, donnant à ce commandement général un caractère plus sérieux que n’avaient eu les précédens, il remplaça Bazaine au commandement du 3e corps par le général Decaen (9 août). Mais il résista à ce qu’on lui demanda contre Le Bœuf. Il répéta noblement ce qu’il avait dit au maréchal lui-même : « Il n’a fait qu’exécuter mes ordres, je ne puis pas le désavouer, c’est impossible. Quoique j’aie sa démission entre les mains, je ne l’accepterai pas, d’autant plus que je n’ai trouvé encore personne h lui substituer. »

L’Impératrice insiste : il lui semble que le commandement