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hésitations manifestées par Magne au dernier moment, mais qu’il ne doutait pas qu’elles ne seraient bientôt levées et qu’il pourrait donner connaissance, à la tribune, du nouveau Cabinet. Je lui lis une seule recommandation : c’est de faire voter d’urgence toutes les lois nécessaires et de congédier aussitôt la Chambre. Je lui expliquai la procédure que j’avais innovée et comment, par un simple décret à l’Officiel, il pourrait la proroger sans être exposé aux scènes d’une séance publique. Il ne répondit ni oui ni non et parut surtout ne pas saisir l’importance du conseil.

Du reste, il n’était pas plus dans le vrai que Schneider, et sa combinaison ne valait pas mieux que l’autre ; il était aussi peu sensé de s’adresser à la menue monnaie du régime autoritaire qu’aux résidus du Centre gauche. Une seule combinaison était pratique, prévoyante, efficace, c’était un ministère vigoureux composé, Rouher à part, des dévoués de la première heure dont on n’avait à craindre ni désertion, ni pusillanimité. Ces hommes étaient là, prêts à se donner ; il n’y avait qu’un signe à leur faire et en peu d’instans on aurait eu le ministère de la circonstance : Granier de Cassagnac, Persigny, Forcade de la Roquette, Haussman, Pinard, etc. Ce ministère aurait pris les mesures nécessaires, renvoyé le Parlement, mis la main sur les conspirateurs, supprimé les journaux révolutionnaires, écrasé la révolution, et la patrie eût été sauvée par lui comme elle l’eût été par nous.

Les Nefftzer et les petits journalistes eussent crié à la réaction, mais cela n’eût pas mordu sur le public. Il se souciait peu en ce moment de la liberté, du Centre gauche, du Centre droit, de toutes ces idées qui naguère le passionnaient. Il n’avait qu’une pensée : l’ennemi approche, vite des hommes d’énergie qui l’arrêtent ! Ce n’était pas un coup d’Etat qu’il redoutait, c’était un effondrement de faiblesse ; ce n’étaient pas des hommes inspirant confiance à l’opinion, ce qui voulait dire au Centre gauche, qu’il fallait choisir, c’étaient des hommes inspirant une crainte salutaire aux auxiliaires de l’étranger. Et le reproche de réaction eût produit d’autant moins d’effet que j’aurais adhéré au nouveau Cabinet. La Droite m’avait refusé sa force ; plus patriote, je lui aurais donné la mienne et à la force autoritaire se serait jointe la force libérale. Mais comment attendre cette lucidité courageuse de la part de pauvres cerveaux persuadés qu’en créant des boucs émissaires ils domineraient tous les périls ?