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belles espérances et dont la durée eût assuré un avenir bienfaisant de concorde, d’ordre, de liberté, de progrès. Le voilà jeté à terre au moment où, ayant surmonté tant de difficultés intérieures redoutables, il allait aborder son œuvre organique de réformes sociales et compléter sa rénovation politique. Le voilà précipité, non seulement par la haine des Irréconciliables dont il avait brisé les trames, mais surtout par l’ingratitude de ceux dont il avait été la sauvegarde, et qui, n’étant plus couverts par lui, étaient voués à une fin misérable ; le voilà, lui, le ministère loyal, culbuté, non par une attaque à face découverte, mais lâchement par la mine d’une coalition ténébreuse ; le voilà, lui, ministère d’honnêtes gens, mis en déroute par la machination d’un futur escroc[1].

Le Ministère du 2 janvier avait été envoyé comme le salut à l’Empire désemparé. A son avènement, les appréhensions étaient générales, tous les ressorts fonctionnaient mal ; les espérances du parti révolutionnaire égalaient son audace. Après quelques semaines, l’esprit public s’était rasséréné, l’action gouvernementale avait repris son aplomb, le parti révolutionnaire, réduit dans l’affaire Victor Noir, avait perdu sa jactance. Les anciens partis gardaient encore des chefs acharnés, mais les soldats se ralliaient à un gouvernement qui les accueillait sans leur imposer aucun sacrifice de dignité. Les intérêts religieux avaient été sauvegardés non moins que les intérêts politiques et sociaux ; le concile œcuménique du Vatican avait joui d’une ampleur de liberté qu’aucune assemblée de ce nom n’avait encore connue. Près de huit millions de voix avaient consacré cette politique, rajeuni l’Empire, effacé le souvenir du 2 décembre. Dans la courte existence de ce Cabinet s’étaient accumulées plus d’affaires graves qu’il n’y en a eu dans les années de bien d’autres. Il avait suffi à toutes et je puis le dire sans sotte vanité, mais par le sentiment d’une juste fierté qui se relève sous les outrages, il avait déployé dans toutes une égale capacité. Assailli à l’improviste par une provocation prussienne, il se montra résolu et modéré, souple et ferme, ressentant l’émotion publique sans s’y abandonner, et sachant parer aux accidens imprévus avec une rapidité réfléchie. L’intérêt sauvegardé, il ne permit pas l’atteinte à notre honneur, mais il ne se décida à la guerre que

  1. Duvernois fut condamné comme tel à deux ans de prison et 1 000 francs d’amende le 24 novembre 1874 par un jugement de police correctionnelle.