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de Le Bœuf. Elle avait son bouc émissaire civil, il lui fallait le bouc émissaire militaire. L’Impératrice ne se ménageait pas pour lui accorder cette satisfaction. Elle employa pendant toute cette journée, contre Le Bœuf, autant d’efforts que ses amis en déployaient contre nous. Connaissant la générosité du maréchal, elle s’était adressée a lui-même : « Au nom de votre ancien dévouement, donnez votre démission de major général, je vous en supplie. Je sais combien cette détermination va vous coûter, mais dans les circonstances actuelles nous sommes tous obligés aux sacrifices. Croyez qu’il n’en est pas de plus dur que la démarche que je fais auprès de vous (9 août). » Le maréchal répond incontinent que ce n’était pas auprès de lui qu’il fallait insister, que sa démission était donnée depuis le 7 août, et que c’était l’Empereur qui persistait à la refuser. La réponse pleine d’effusion de l’Impératrice indique l’ardeur de son désir : « Je vous remercie de ce que vous faites, je n’oublierai jamais cette preuve de dévouement que vous donnez à l’Empereur, j’en suis touchée et émue (9 août soir). » Le Bœuf crut que l’Empereur se décidait à accepter sa démission. Il persistait au contraire à la refuser, et la journée se termina sans qu’on pût annoncer au public le départ du maréchal.

Pendant ce temps, les écervelés qui formaient le Conseil intime de l’Impératrice triomphaient : « Nous avons empêché Papa de revenir. » Et l’Impératrice télégraphiait à l’Empereur : « Ce que je craignais est arrivé ; j’ai un changement de ministère. Palikao est à la tête, mesure admirablement acceptée. »

Vers neuf heures du soir, nous allâmes aux Tuileries prendre congé de la Régente. Dans la salle d’attente était Baroche. Il attribuait notre chute à Schneider, et me dit : « Vous le voyez, sans l’accord avec le président du Corps législatif, on ne peut pas marcher dans le régime parlementaire. » Il est dans les devoirs des ministres qui quittent les affaires de donner leurs conseils pour le choix de leurs successeurs. Quoique l’Impératrice ne nous y engageât pas, nous nous assîmes autour de la table des délibérations et nous communiquâmes nos sentimens. Nous étions écoutés avec politesse, mais froidement et avec distraction. Nous le comprimes et nous nous levâmes. L’Impératrice parut soulagée. Malgré la sécheresse de ce congé, j’étais ému de pitié en songeant dans quel abandon elle n’allait pas tarder à se trouver lorsqu’elle n’aurait plus à ses côtés ses seuls