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d’orléanistes, qu’il traversa en voiture découverte après la séance : « Ce qu’on me demandait le plus après les nouvelles de l’armée, c’était des nouvelles du Cabinet. Quand je répétais qu’il n’existait plus, les applaudissemens éclataient, se prolongeaient, redoublaient. On n’aurait pas été plus joyeux pour une victoire. Je ne discernai aucun cri contre la Chambre. Comme nous débouchions sur la place, deux ouvriers en blouses blanches saisirent le cheval par la bride en disant : « Il faut la déchéance ! » On répéta autour d’eux : « Oui, oui ! » mais sans trop grande animation. Quoique tout le monde voulût la déchéance, ce n’était pas l’affaire de la journée. Au contraire, on entendait de tous côtés : « Qu’il revienne ! qu’il renonce au commandement ! c’est lui qui nous perd ! » Les imprécations contre le maréchal Le Bœuf étaient aussi très vives et très persistantes. »

Ceux qui, dans la foule hurlante, demandaient la déchéance avaient raison de se réjouir de notre renversement comme d’une victoire : ils n’avaient plus d’obstacle devant eux. Le sentiment était juste aussi de ceux qui répétaient le vrai mot de la situation : « Qu’il revienne ! » Toute la population parisienne le disait à l’envi. Elle n’eût donc pas été étonnée qu’il revint ; elle n’eût vu dans ce retour ni lâcheté, ni déshonneur ; elle eût été, au contraire, reconnaissante de cette abnégation.

La journée était bonne pour l’opposition irréconciliable : elle s’était débarrassée du seul ministère de force à lui barrer la route et elle avait ouvert l’ère révolutionnaire en s’affranchissant des contraintes constitutionnelles. On ne lui avait pas encore accordé le droit de tout faire, mais on ne lui refusait plus celui de tout dire. Enfin, un résultat était acquis, à savoir qu’au prochain revers, on appliquerait à l’Empereur le traitement qu’on venait de nous faire subir et que l’on prononcerait sa déchéance comme on avait voté notre renversement, d’autant plus que sa responsabilité existait, tandis que nous n’en avions encouru aucune. La Gauche exultait. « Dès ce moment, a dit Jules Simon, l’Empire n’existait plus que de nom[1]. »

Le contentement de l’assemblée ne fut pourtant pas complet parce que notre chute n’était pas accompagnée de la destitution

  1. Origine et chute du second Empire, p. 246.