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général qu’il adhérât aux deux mesures sans lesquelles je ne resterais pas au pouvoir : le retour de l’Empereur et l’arrestation des révolutionnaires. Je crus superflu d’entrer dans ces considérations et je dis simplement : « Non, mon cher duc, j’aurais beau monter à la tribune et lire cette nomination, je ne resterais pas. La Chambre, pour se dégager, vient de me sacrifier par un premier vote formel provoqué par un de mes amis, et, comme je n’ai pas voulu m’y soumettre, elle va le renouveler sur la proposition d’un de mes ennemis[1]. Jetez un coup d’œil sur la salle des conférences, vous y verrez les chefs de la Gauche et de la Droite réunis délibérant sur les termes de l’ordre du jour qui doit nous exécuter. Il ne s’agit pas de savoir si je serai renversé, je le suis. Ce que vous proposez ne serait qu’un essai de replâtrage sans dignité, qui n’arrangerait rien. Puisque Palikao est votre suprême espérance, ne le compromettez pas en l’associant même un instant à celui qui va être frappé comme le bouc émissaire. » Persigny n’essaya pas de me réfuter : « C’est aussi l’avis de l’Impératrice, » dit-il. Il me serra la main, et me quitta. Je ne l’ai jamais revu.

La véritable pensée de l’Impératrice me fut confirmée par une démarche de celui de ses intimes qui, pendant toute cette séance, était allé sans répit des Tuileries à la Chambre et de la Chambre aux Tuileries, Jérôme David. Sans être arrêté par ses machinations, il m’aborda et me dit d’un ton embarrassé : « Entre gens de cœur, on peut s’expliquer clairement. Après le vote de la Chambre qui vous renversera, consentirez-vous à monter à la tribune, et à annoncer que le général Palikao est nommé ministre de la Guerre avec mission de former un Cabinet ? — Oui, monsieur, répondis-je sèchement, si l’Impératrice me le demande par une lettre. » Et je lui tournai le dos. Il courut aussitôt aux Tuileries chercher cette lettre, avant que la séance fût reprise, tant il était sûr de ce qui allait se passer.

  1. Auguste Vitu, le Peuple Français, 11 août 1870. « Lorsque l’amendement de M. Clément Duvernois a été adopté, le Cabinet était déjà mort. Il avait été tué raide par le vote sur la proposition de M. de Talhouët. Le vote de l’amendement Duvernois n’a fait que constater le décès. »