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donc une formule qui, en frappant à mort le Ministère, ne froissât les susceptibilités d’aucun des coalisés, de l’extrême Gauche à l’extrême Droite. Cette formule, ils ne l’avaient pas trouvée ; il leur fallait encore quelque temps de délibération. Ce fut Talhouët qui le leur procura.

Cet homme excellent et charmant, droit, désintéressé, mon ami personnel, était, depuis son rapport du 15 juillet, hanté sans répit de la pensée de se décharger d’une responsabilité qui l’accablait. On lui avait persuadé qu’un des meilleurs moyens serait de contribuer à notre chute ; il marquerait ainsi qu’il avait été trompé. C’est pourquoi il intervenait. Il proposa de suspendre le vote sur la question de confiance et de commencer par examiner les projets de loi demandés d’urgence. « En suivant cette marche, la question des personnes pourra se poser naturellement et se décider... (Interruptions) sans montrer au pays une division que je regretterais profondément quand nous sommes en face de l’étranger. » (Nombreuses marques d’approbation.) Après les motions violentes de Jules Favre, Picard, Kératry, c’était s’y prendre un peu tard pour cacher au pays « une division regrettable » qui venait d’être bruyamment étalée.

J’eusse été, si j’eusse accepté sa proposition, un étrange ministre : dès que la question de confiance est posée, il est de règle que, toute affaire cessante, elle soit résolue incontinent, afin que l’exercice du pouvoir ne demeure pas longtemps interrompu. En aucune circonstance, cette règle ne s’imposait plus impérieusement. De quart d’heure en quart d’heure, à mon banc, me parvenaient des rapports de police alarmans. Il y était dit que la foule s’exaspérait, qu’elle avait saisi et précipité dans la Seine un agent de police. A tout moment, la situation pouvait exiger des résolutions suprêmes, et l’on devait, sans perdre une minute, ou investir les ministres de la force que la proposition d’un vote de méfiance leur avait enlevée, ou immédiatement les remplacer.

C’est précisément parce qu’on savait que je rejetterais la proposition inacceptable de Talhouët qu’on l’avait présentée. Sans me donner la peine inutile d’expliquer ce que tout le monde comprenait aussi bien que moi, je dis simplement que je n’acceptais pas. La Chambre presque entière, à l’exception d’une quinzaine de membres, se leva et vota la motion. Latour-Dumoulin