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Après les quelques mots échangés avec moi, Palikao était allé déjeuner chez Dejean. Il ne lui avait pas appris qu’il allait le remplacer et ne lui avait parlé que de son départ pour Metz. Puis il était revenu auprès de l’Impératrice. Elle lui annonça que l’Empereur n’avait pas agréé l’idée de son voyage au quartier général. « Je ne comprends rien, avait-il télégraphié, à l’envoi de Palikao à Metz ; il ne peut rien changer à la situation. » Elle l’avait donc retenu. Palikao avait approuvé son opposition au retour de l’Empereur et soutenu qu’un Napoléon ne pouvait revenir dans sa capitale que victorieux : l’Impératrice s’était crue sauvée. Ses derniers scrupules à notre égard s’évanouiront ; elîo proposa au général d’être le président du futur ministère. Il opposa quelque résistance : « J’ai passé, dit-il, vingt- sept ans de ma vie en Algérie, six ans à Lyon, quelque temps en Chine ; je n’ai jamais été un homme politique ; je n’ai pas l’habitude de parler en public ; je n’ai connu à Paris ni les hommes, ni les choses ; vous me mettez dans un cas embarrassant, et je ne saurais à qui m’adresser pour former un ministère. » Néanmoins, sur la promesse de le faire maréchal, il se décida.

Comment se débarrasser de nous ? Directement cela n’était pas possible : les lettres de l’institution de la Régence n’accordaient pas le droit de changer un ministère sans le consentement de l’Empereur, et l’Empereur refuserait le consentement. Mais il était un moyen de lui forcer la main : l’impératrice pouvait, sans se découvrir, engager ou faire engager les nombreux députés sur lesquels elle avait de l’influence à nous mettre en minorité en votant avec nos adversaires habituels ; alors l’Empereur serait bien obligé de consentira notre renversement, et la Régente ne serait pas empêchée de soutenir qu’elle n’y avait pas contribué. A-t-elle organisé cette manœuvre, dont je ressentais déjà les effets et qui allait m’emporter ? Je trouverais tout naturel qu’elle l’eût fait. Convaincue que ma politique serait funeste et déshonorerait l’Empereur, elle était tenue en conscience de me retirer le pouvoir dont je me préparais à faire un si mauvais usage ; son abstention eût été une faute d’Etat. A-t-elle commis cette faute ? L’Empereur me l’a affirmé. En tout cas, ses fidèles agirent comme si elle ne l’avait pas commise.

Tous ceux qui rapprochaient de près ou de loin se déchaînaient