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il quittait son cabinet, son secrétaire, Bouilhet, était venu lui annoncer le succès de la manœuvre contre le Ministère, dont il faisait, depuis notre refus de démissionner, son affaire personnelle. « La chute du Cabinet est certaine, » lui avait-il dit. D’Auribeau, secrétaire général de l’Intérieur, resté en relations journalières avec la plupart des députés, disait également au frère de Chevandier venu aux nouvelles : « Votre frère est dans une erreur complète ; il croit qu’il triomphera à la Chambre ; tout est arrangé ; le Ministère est renversé. »

Je ne tardai pas, en effet, à constater combien Chevandier s’était trompé. Avant même que je fusse monté à la tribune, le tumulte se déchaîna. Lorsque le président, donnant lecture du décret de convocation, en fut venu à ces mots : Napoléon, par la grâce de Dieu et la volonté nationale, Empereur des Français... « Passez, passez ! » s’écria la Gauche avec fureur. Dès que j’eus prononcé quelques paroles, les clameurs recommencèrent avec une force, une colère, dont le Journal officiel ne peut donner une idée. On a parlé des injures dont Thiers fut assailli dans la séance du 15 juillet, c’étaient des complimens en comparaison des outrages grossiers dont ses amis m’abreuvèrent le 9 août. Thiers, Grévy, Jules Simon, Gambetta conservèrent une attitude décente. Mais Jules Ferry, que j’avais autrefois comblé de mes bontés, se signala parmi les plus emportés et créa le précédent d’injures violentes, contre les ministres innocens d’une défaite, qui se retourna plus tard contre lui dans des conditions où sa responsabilité n’était pas plus engagée que la nôtre.

On voulait m’intimider et m’obliger à me taire ; Jules Favre cria : « Descendez de la tribune, c’est une honte ! » Ces vociférations ne me déconcertèrent point ; elles accrurent mon imperturbabilité. Je dédaignai les insultes qu’a reproduites le compte rendu et celles que par pudeur il a omises, mais que j’entendais. Ils comprirent qu’à moins de m’arracher de la tribune, par un acte de violence brutale dont ils n’avaient pas plus le courage que la possibilité, ils seraient bien obligés de m’entendre jusqu’au bout. A chaque phrase « prononcée, a écrit depuis Jules Favre, sans émotion apparente, » au lieu de s’affaiblir, ma voix devenait plus vibrante, plus impérieuse :

« Messieurs, l’Empereur vous a promis que l’Impératrice vous appellerait si les circonstances devenaient difficiles. Nous n’avons