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n’aurait pas eu le même sens. M. Etienne n’a pas fait, croyons-nous, de manifestation personnelle bien éclatante pour ou contre la réforme, mais le plus grand nombre de ses amis y sont contraires et ils auraient interprété son succès au profit de leur opinion. En revanche, les partisans de la représentation proportionnelle sont en droit de tirer avantage de l’élection de leur candidat. Au point de vue parlementaire, ils représentent une majorité composite et bigarrée qui va de l’extrémité droite à l’extrémité gauche ; ce n’est pas une majorité de gouvernement ; ce n’est, si l’on veut, qu’une majorité d’opinion, mais il n’en faut pas moins compter avec elle. Ce serait une grande faute de ne pas le faire. Ce serait une faute aussi de ne pas capter la force que cette élection recèle et de ne pas s’en servir. En tout cas, comme nous l’avons dit plus haut, et comme M. Deschanel l’a dit plus éloquemment que nous en prenant possession du fauteuil présidentiel, il faut aboutir : que ce soit dans un sens ou dans l’autre, il faut sortir de l’incertitude au sujet du mode électoral qui sera mis en œuvre en 1914. Si ce doit être la représentation proportionnelle, il n’est que temps pour les partis de s’organiser en vue d’un mode électoral nouveau, qui fonctionnera chez nous pour la première fois et que le pays, tout en le voulant, ne s’explique pas encore très clairement. Si on ne le fait pas, les élections prochaines seront une surprise et un chaos.

Nous avons parlé du discours de M. Deschanel : il a été d’une très belle tenue littéraire et la Chambre, en l’écoutant, a éprouvé un plaisir délicat. Le nouveau président a parlé de l’ancien avec une respectueuse sympathie : les dissentimens d’autrefois s’effacent devant la mort. Il a eu aussi un mot obligeant pour M. Etienne, son concurrent de la veille resté son ami. M. Deschanel ne s’en est pas tenu là : il a donné les meilleurs conseils à la Chambre sur la distribution de son travail et nous désirons vivement que ces conseils soient suivis. Que de forces se perdent dans nos assemblées parce qu’elles sont employées sans méthode ! Si M. Deschanel obtient seulement que la discussion du budget ne soit que la discussion du budget et non pas de cent autres choses à la fois, il faudra bénir sa présidence. Y réussira-t-il ? Ne cherchons pas à prévoir l’avenir : pour le présent son élection, dans une lutte réglée contre le parti radical en désordre et bientôt en déroute, a une signification qui ne saurait échapper. Depuis quelques mois ce parti éprouve échecs sur échecs : ainsi périssent les partis qui n’ont plus d’hommes ni d’idées.

On sait avec quels ménagemens nous parlons de nos provinces