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que le capitaine Borrow s’était maladroitement obstiné à lui imposer. Toujours est-il que vers 1820, à dix-sept ans, nous le voyons se lier, dans la petite ville où s’étaient retirés ses parens, avec un certain William Taylor, dont le principal titre de gloire consiste, aujourd’hui encore, à avoir ouvertement professé et prêché l’athéisme. Dans la maison de ce Taylor, qu’une ivrognerie invétérée n’empêchait pas d’occuper à Norwich la situation d’un vrai chef d’école, George Borrow s’est signalé à la fois par sa prodigieuse facilité à se rendre maître de toutes les langues et par son enthousiasme irréligieux. Si bien que, lorsque, après la mort de son père, en 1824, le jeune homme s’est rendu à Londres pour s’y essayer au métier d’écrivain, voici de quelle façon, dans une lettre à un ami, il résumait ses projets d’avenir : « J’ai l’intention, disait-il, de vivre à Londres, d’écrire des pièces, de la poésie, etc., d’insulter la religion, et de m’exposer à des poursuites judiciaires. « L’influence de William Taylor, évidemment, continuait à le tenir pour le moins aussi éloigné de l’anglicanisme que des croyances de ces Irlandais catholiques parmi lesquels il comptait alors ses plus intimes confidens et amis.

À Londres, George Borrow devait trouver la misère, au lieu de la brillante fortune espérée. Dès l’année suivante, en 1825, force lui était de renoncer à toute ambition littéraire ; et dès ce moment commençait pour lui une vie d’aventures extraordinaires, que lui-même nous a racontée dans Lavengro et The Romany Rye. Le fils du capitaine Borrow vagabondait sur les routes de l’Angleterre, tantôt s’occupant à rétamer des casseroles, tantôt s’associant à une troupe de Bohémiens et s’efforçant de plaire à la belle et énigmatique créature qu’il a immortalisée sous le nom d’Isopel Berners. Rien de tout cela n’était pour le ramener à des sentimens de piété ; et bien que, ensuite, les événemens de sa vie se soient enveloppés d’un mystère impénétrable, pendant sept années que lui-même s’est plu à appeler la « période voilée » de son étrange carrière, le peu qu’il nous est possible de deviner touchant ses aventures de ces sept années nous le montre plongé plus profondément encore dans une « bohème » où il n’y a guère de chances que son cœur se soit rouvert à la religion officielle de sa race. Enfin, en 1832, au moment où il allait périr de découragement et de misère, voici que ses connaissances linguistiques, et notamment l’affirmation qu’il possédait la langue mandchoue, — dont il semble bien en réalité n’avoir pas eu, à cette date, la moindre notion, — lui ont valu d’entrer en rapports avec les directeurs de la Société Biblique, qui avaient alors besoin d’un agent pour diriger, à Pétersbourg, l’impression