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curiosité des biographes, désireux de découvrir au juste la part de la « confession » et celle de la fantaisie dans les aventures du jeune Lavengro. Car voici qu’après M. Knapp, et M. Watts-Dunton, et maints autres, M. Herbert Jenkins vient de nous offrir à son tour une nouvelle Vie de George Borrow, « compilée, nous dit le titre, d’après des documens officiels inédits, d’après la correspondance intime et les œuvres de Borrow, etc. » Avec une patience, une érudition et un amour exemplaires, M. Jenkins s’est attaché à confronter de proche en proche les événemens racontés dans Lavengro, dans The Romany Rye, et dans la Bible en Espagne, avec les témoignages portés sur soi-même, dans ses lettres, par l’auteur de ces livres, et aussi avec les renseignemens biographiques fournis à son sujet par d’autres personnes, durant toute sa carrière. D’où ressort, en premier lieu, la conclusion péremptoire que Borrow, malgré le sous-titre de : Un Rêve, qu’il a donné à son Lavengro, s’y est constamment tenu à la plus scrupuleuse vérité autobiographique, sauf à brouiller, çà et là, quelques dates, et à changer quelques noms : de telle sorte que, bien par delà David Copperfield, il faudrait remonter jusqu’aux Confessions de Rousseau pour rencontrer l’équivalent d’une entreprise littéraire comme la sienne. Mais en même temps que les savantes recherches de M. Jenkins font amené à nous garantir la valeur historique des romans de Borrow, elles lui ont permis de compléter, ou parfois de corriger, l’image que nous a offerte le célèbre romancier anglais de toute sa personne ; peut-être l’ouvrage entier du nouveau biographe ne contient-il pas de chapitre plus curieux que celui où nous trouvons, par exemple, l’explication de ce qu’on pourrait appeler le paradoxe religieux de la Bible en Espagne et de Lavengro.


Car il convient de reconnaître que, avec tout le plaisir que nous cause la lecture de ces livres, nous y sommes trop souvent choqués par une opposition surprenante entre la ferveur « anglicane » de l’auteur, ses protestations de solide piété, et le ton violent, haineux, presque blasphématoire de ses allusions non seulement aux croyances purement « papistes » du catholicisme, mais encore à tels dogmes qui, sous une forme à peine différente, se retrouvent au fond de toute « confession » chrétienne. Et ce n’est pas non plus sans quelque surprise que, dans la Bible en Espagne surtout, nous voyons l’auteur entremêlant soudain des témoignages plus ou moins éloquens de cette ferveur anglicane à des peintures où leur apparition produit sur nous l’effet le plus imprévu : comme si Borrow, tout d’un coup, s’était rappelé