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peu de voir l’exécution d’une tâche aussi sainte confiée aux mains d’un apôtre tel que celui-là C’est grâce à la visite de don Pedro Martin que George Borrow, vers le milieu de l’année 1842, sortant soudain de l’obscurité où il était resté plongé jusqu’alors, a pris place triomphalement parmi les plus célèbres écrivains anglais de son temps.


La Bible en Espagne et Lavengro : ainsi s’appellent les deux œuvres principales de cet écrivain, — à la condition que l’on joigne encore à Lavengro la suite immédiate de ce roman, publiée plus tard sous le titre de : The Romany Rye. L’une et l’autre ont acquis aujourd’hui, en Angleterre, je ne dirai pas seulement une célébrité, mais un rayonnement continu d’émotion et de vie, qui leur vaut de prendre place tout de suite après les romans de Dickens aussi bien dans la bibliothèque du lettré le plus délicat que dans celle de tout homme du peuple un peu « éclairé. » Pas une « collection » populaire à six pence ou à un shilling qui ne se croie tenue d’inscrire en tête de son catalogue les deux livres de Borrow, tout de même que l’on en voit paraître, chaque année, des éditions plus ou moins « savantes, » précédées de longues préfaces biographiques. Mais, en réalité, aucune comparaison n’est possible entre les deux œuvres, au point de vue de la portée de leurs sujets, ni même de la qualité littéraire de leur style. La Bible en Espagne, comme je l’ai dit, a dû une bonne partie de son succès à sa prétention d’être une manière de pamphlet anti-catholique, — la relation des épreuves subies par un « missionnaire » anglais et protestant dans sa lutte contre les terribles héritiers de Torquemada ; et je ne serais pas étonné que, aujourd’hui encore, les compatriotes de l’auteur, en lisant le récit de ses aventures dans la Prison de la Cour ou parmi les bohémiens de Valladolid et les juifs de Tanger, eussent la touchante illusion d’assister aux exploits d’un véritable apôtre. — qui, seulement par un étrange scrupule de discrétion ou de modestie, se serait interdit d’insister sur le caractère proprement religieux de sa tâche pieuse, pour ne nous en révéler que les dehors pittoresques. Le fait est que l’on aurait peine à trouver, dans la littérature anglaise ou même dans aucune autre, une suite d’aventures aussi amusantes, toutes pleines de couleur et de mouvement, avec une évocation ininterrompue de figures délicieusement grotesques ou sinistres. Écrite à l’aide du journal intime de Borrow, ainsi que de ses admirables lettres à la Société Biblique de Londres, la Bible en Espagne nous laisse elle-même l’impression d’une « chronique » rédigée, au jour le jour, par