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Oui, » nous nous reconnaissons tous en lui. » Mais en lui nous devinons aussi quelque chose de supérieur à nous tous, je veux dire l’idée, au sens platonicien), ou l’essence du sentiment que tel personnage exprime, et qui le dépasse. Ainsi, dans le sextuor que nous venons d’étudier, lorsque Leporello, découvert et craignant la bastonnade, supplie qu’elle lui soit épargnée, sa voix n’est pas seulement la sienne, et la musique est si vaste, si profonde, si haute, que dans la misérable requête d’un drôle, nous croyons ouïr toutes les plaintes, toutes les prières, même des plus nobles, même des plus saintes douleurs. Ainsi encore la sérénade, fameuse entre toutes les sérénades, pour qui, pour quel « objet, » don Juan la chante-t-il ? Pour une camériste, une figurante, que nous entrevoyons à peine et qui disparaît. Mais la médiocrité de la destinataire, loin de le rabaisser, rehausserait plutôt le prix de l’exquise chanson. Qu’importe vers quelle fenêtre elle monte, et quelle amoureuse l’écoute, assurément sans la comprendre, si la divine beauté de la musique l’élève, l’ennoblit, et pour jamais en fait un soupir de l’éternel, de l’idéal amour.

Dramatique et joyeux (dramma giocoso), Don Juan est l’un et l’autre avec équilibre, avec harmonie, avec aisance, avec liberté. En tête d’une traduction des mémoires de l’abbé Da Ponte (ou d’Aponte), cet étonnant aventurier que fut le librettiste de Mozart, Lamartine a écrit cette phrase : « Le monde a quelquefois besoin de penser ; mais il a quelquefois aussi besoin de s’amuser. » Il n’y a pas un chef-d’œuvre comme Don Juan pour contenter, pour combler ce double désir. Don Juan fait penser comme il a été pensé lui-même : avec profondeur, avec sérieux, un sérieux quelquefois terrible. Jamais la musique n’a parlé plus gravement des choses graves : de la douleur, de la mort, de la justice éternelle. Avec cela, jamais elle n’en a plus simplement parlé. Dans la scène du cimetière, une note de cor, une seule, donne au Oui du Commandeur, acceptant l’invitation sacrilège, un accent d’outre-tombe et comme la résonance de l’au-delà. Le vieillard à peine touché par l’épée de don Juan, n’avait-il pas suffi d’un terzetto de quelques mesures pour évoquer toute l’horreur de la mort et toute sa majesté ? Avec un orchestre dont ferait fi le plus jeune de nos « jeunes maîtres, » le Mozart du dernier acte de Don Juan atteint à une grandeur, à une puissance, même sonore, que, dans ses plus gigantesques épisodes, Wagner ne devait pas surpasser.

Enfin quel autre que Mozart a su répandre sur toute une œuvre musicale cet air d’allégresse et de fête, comparable seulement à celui d’un ciel d’été, d’un rire d’enfant, ou d’un visage heureux ! Quel autre,