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sons qu’il faudrait prendre garde. Or, c’est justement des sons que cette fois on paraît s’être soucié le moins.

Choisi comme directeur général de la musique et, en particulier, de l’orchestre de Don Juan à l’Opéra-Comique, M. Reynaldo Hahn est à bon droit réputé pour son intelligence et son amour de l’œuvre du maître de Salzbourg. Il sait par cœur et « conduisit » de même l’opéra cher à son cœur. Il ne parut pourtant pas le conduire toujours avec une connaissance très sûre, avec un sens très juste des mouvemens. Et puis il l’a mené petitement, sans ampleur ni puissance, dans un style un peu plus de salon, pour ne pas dire de casino, que de théâtre. Les moindres détails de cette musique, on le sait, lui sont familiers et lui sont précieux. Mais on peut ne rien ignorer des secrets de Mozart, hormis un seul, celui de les révéler tous. Il nous soutient pourtant que M. Hahn y avait naguère assez brillamment réussi. Quelques exécutions, en concert, de Don Juan, à l’Éden-Théâtre, nous firent un plaisir extrême. Une autre troupe, il est vrai, servait sous le même chef. Doña Anna, pour ne rappeler qu’elle seule, fut alors cette incomparable Lilli Lehmann, que nous venons d’applaudir, d’acclamer hier encore, avertis par ses cheveux blancs qu’il peut y avoir une voix qui jamais ne tombe, une ardeur qui ne s’éteint pas.

Dans le Don Juan de l’Opéra-Comique, tout est éteint, rien n’est debout. Faut-il passer la revue des interprètes et leur adresser un ordre du jour ? Le primo uomo, don Juan, c’est M. Périer. M. Périer joint à fort peu de voix beaucoup d’intelligence. On ne compte plus les rôles que l’artiste a su composer avec ces élémens inégaux, en comédien parfait, à peine en chanteur. Mais don Juan veut être chanté. Sans compter que la figure même, l’extérieur et l’action du personnage conviennent aussi peu que possible à l’interprète. En deux mots, don Juan et M, Périer ne sont pas du même ordre. Leporello ne diffère pas moins de M. Vieuille, lequel est parfaitement dépourvu de souplesse, de rondeur et de vivacité. M. Francell fait un Ottavio plutôt gauche, à la voix blanche, au style d’écolier. Enfin quel directeur de théâtre comprendra jamais que le rôle du Commandeur n’est pas ce qu’en argot de coulisses on appelle « une. panne, » et que, si peu que chante l’homme de pierre, il le doit chanter d’une terrible, tonnante, foudroyante voix.

Quant aux femmes, dont on a dit que, dans le bien ou le mal, elles vont souvent plus loin que nous, leur sexe a remporté sur le nôtre, en cette rencontre, le plus triste avantage. Zerline seule, peut-être, mérita quelque bienveillance. Mais nous n’oserions pas, selon leurs