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petite-fille) c’est merveille de la voir, merveille de l’ouïr. De l’ouïr, car sa voix est la plus belle du monde, et son chant n’est pas indigne de sa voix. De la voir, même silencieuse, mais toujours musicale, et composant par la démarche et le geste, par le rythme des attitudes et l’expression du visage, une vivante harmonie. La mise en scène générale est médiocre, les costumes ne sont pas très heureux, et la Rome du premier acte ressemble à quelque petite ville de l’Auvergne ou du Velay.


On vient de nous rendre Don Juan, comme on rend à ceux qui l’aimaient la dépouille d’un être chéri, victime d’un accident ou d’un crime. Puisqu’il est écrit que « la colère n’opère pas la justice de Dieu, » nous appellerons, sans colère, un accident, un accident funeste, et, si vous voulez, un homicide par imprudence, l’exécution, à l’Opéra-Comique, du chef-d’œuvre de Mozart.

Les intentions n’étaient certes pas mauvaises. Quelques-unes même ont été suivies d’effet. Il est bon d’avoir enlevé aux choristes, qui l’avaient usurpé, et de restituer exclusivement aux solistes, qui le tenaient de Mozart, lequel sans doute avait ses raisons pour le leur confier, le finale du premier acte. Félicitons aussi la direction de l’Opéra-Comique de nous avoir fait entendre pour la première fois, — pour la toute première, — le dernier finale. Délicieux musicalement, il suit la catastrophe, il la commente dans un esprit tantôt sérieux, tantôt aimable ; avec une grâce aisée et libre, il en tire à la fois de nobles et de plaisantes leçons. Enfin et surtout, on ne saurait trop approuver, — l’ayant réclamé si souvent, — le retour à la coupe originale, en deux actes. Mais alors il fallait aussi, il le fallait absolument, assurer, par des changemens à vue, la succession rapide, ininterrompue des tableaux. Sans quoi, la multiplication des entr’actes menaçait de partager l’ouvrage, non plus en deux, ni même en cinq actes, mais en neuf, et de rallonger interminablement. Cela n’a pas manqué. Tout ce que l’on gagnait d’un côté s’est perdu par ailleurs. Mieux eût valu renoncer à de vains effets de décor. On ne saurait assez le redire : les chefs-d’œuvre du genre de Don Juan, — s’il y en a d’autres de ce genre-là, — se passent aisément du spectacle, étant de la musique avant tout, plus que tout, n’étant peut-être que de la musique. Le régisseur du théâtre de Prague, le premier qui « mit en scène » Don Juan, s’appelait Guardasoni. J’ai toujours trouvé que ce nom ressemblait à un avertissement ou à un programme. Quand on s’occupe de Don Juan, quand on y touche, c’est aux sons, rien qu’au