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torches et de cantiques : c’étaient les confréries qui accompagnaient en chantant la dépouille d’un frère. Les voix frappaient la mer sonore, balancées de flot en flot sur l’azur alcyonien de la Méditerranée. Ainsi, jusqu’aux Iles d’or et aux Champs Elysées de leurs divines pinèdes, voguaient ces mélodieuses funérailles marines.

Voilà les images qu’évoquent les « Primitifs niçois ; » voilà le passé oublié dont ils nous font souvenir. Presque tous ces tableaux sont des tableaux de confréries : Vierges de miséricorde. Madones du Rosaire, Vierges, Christs de pitié, ce sont tous les motifs de la piété populaire à la fin du XVe siècle... Sans doute, il faut se garder de toute exagération. Nice n’est pas Assise, la Ligurie n’est pas l’Ombrie. Les mœurs ont peu changé sous ce ciel fainéant, en face de cette mer charmante, sous ce climat de volupté. Nulle part on ne goûte mieux te plaisir de la vie, et les gens d’autrefois ne le goûtaient pas moins que nous. Comme nous, ils étaient légers, sensuels et frivoles ; comme aujourd’hui, ils étaient joueurs, et comme aujourd’hui paresseux. Leur vraie science a toujours été le gay saber. L’amour allait son train alors comme de nos jours. Tout semblait véniel sous ce soleil indulgent. La pénitence même n’y était pas austère. Comment, parmi tant de sourires, prendre la vie bien au sérieux ? A Nice, les Pénitens noirs avaient dans leurs statuts une clause remarquable. Aux confrères célibataires, ils défendent les femmes mariées, mais permettent les autres. On était libertin, emporté à son aise. Tout péché était reçu à composition. On admettait le prix du sang ; et le tarif des assassinats nous montre qu’on faisait bon marché de la vie humaine. Telle quelle, on l’aimait pourtant : elle était si aimable ! C’était déjà le lieu du monde où elle semblait la plus douce : chaque jour était un jour de fête, une veille de carnaval.

Cependant, au milieu de cette vie un peu folle, une pensée fréquente ramène la gravité. Nulle idée alors plus commune que celle de la mort. Un des tableaux de l’Exposition illustrait cette pensée d’une manière saisissante : c’est la Danse macabre du Bar. Le Bar est un village qui profile sur un rocher, à quelques lieues de Grasse, les dos de ses maisons blanches à silhouette sarrasine.

Avez-vous vu à Rumengol ou à Saint-Jean-du-Doigt, dans les sanctuaires de la Bretagne, un de ces chanteurs ambulans qui