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béguine, fondatrice des dames de Robaut, il forme un couple ravissant. Cette sainte fille était une personne si fine, qu’à peine semblait-elle appartenir à la terre. Un rien, un chant d’oiseau la jetait en extase. Elle pesait si peu qu’en marchant elle posait à peine la pointe des orteils. Elle volait au ciel sur des ailes invisibles. Souvent elle s’élevait dans les airs, toute droite, si bien qu’en se prosternant on baisait la plante de ses pieds.

Et c’étaient des passages de papes ; c’étaient des missions de prédicateurs célèbres ; saint Vincent Ferrier rencontra ici sainte Colette. Tout cela développait dans le peuple un état d’esprit dont nous n’avons plus aucune idée. Dès le temps de Salimbene, la Provence était pleine de gens qui « faisaient pénitence. » Faire pénitence, c’est la formule de la vie chrétienne : la mortification, la prière, les bonnes œuvres, l’exercice de quelques dévotions ou de pratiques particulières, formaient le programme de ces associations pieuses. Nées sous l’action des ordres mendians, les confréries de pénitens ont été une des créations les plus originales de la tin du moyen âge. Elles ont pullulé dans le Midi de la France. Souvent on les appelait du nom de luminaires, parce qu’une de leurs fonctions était d’ensevelir les morts et de les escorter en portant des lumières à leur dernière demeure. Une confrérie de Draguignan s’intitulait pour cette raison Notre-Dame des grands cierges. En temps de peste ou d’épidémie, leur mission devenait courageuse. Avec leurs uniformes de -toutes les couleurs, leurs « sacs » et leurs cagoules : pénitens blancs, pénitens noirs, pénitens gris, pénitens bleus, — avec leurs processions, leur hiérarchie, leurs corps de prieurs ou compans, leurs juges, leurs bailes, leurs clavaires et leurs canesteliers, les confréries mettaient dans la vie d’autrefois un élément de beauté à jamais regrettable. Le bureau de bienfaisance n’a pas remplacé ce qu’elles faisaient pour « nos seigneurs les pauvres, » ni les pompes funèbres, les honneurs qu’elles rendaient à « nos seigneurs les morts. » Qu’on essaie de se représenter seulement ce tableau. Lérins était alors bien déchue de sa gloire ; l’abbaye de Saint-Honorat avait perdu depuis longtemps son rôle des premiers siècles, lorsqu’elle était le phare de la foi dans les Gaules. Mais, pour tout le pays, elle conservait encore un prestige singulier. Beaucoup voulaient dormir dans cette terre sainte. De Cannes ou de Nice, on voyait s’avancer derrière le cercueil une flottille de barques pleines de