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lui coûte, les murs tremblent devant sa brosse. C’est le plus fécond frescante de toute la province. A Venanson, à Pornazio, à Pigna, à Saint-Etienne-de-Timée, il a multiplié partout les œuvres d’une veine rude et torrentueuse. Je ne pouvais tout voir ; mais j’ai vu cependant ses fresques de la Briga.

On fait vingt lieues, en partant de Nice, sur le chemin de Tende. La route s’élève, descend, remonte pour redescendre encore, franchit deux cols, tournoie au-dessus des vallées, pour s’enfoncer enfin dans les gorges de la Roya : pays farouche, remous pétrifié de montagnes, d’aspect sauvage et hérissé de forteresses méfiantes. A Saint-Dalmas, on quitte la route pour s’engager à droite dans une vallée latérale ; on traverse le village alpestre de la Briga, et on trouve, une lieue plus loin, dans un site âpre, désert, triste, une chapelle isolée qui domine un ravin. Cinquante sources, qui jaillissent, bouillonnent, écument autour des roches, capricieuses, intermittentes, un peu fées, emplissent de leur sifflement ce repli solitaire. Dès le moyen âge, l’inquiétante divinité du lieu fut prudemment exorcisée par l’érection de la chapelle, sous l’invocation de la Vierge. C’est la Vierge des Sources, Notre-Dame de Fontan.

Une impression étrange vous attend à l’entrée. L’église entière, la nef, les voûtes, l’arceau qui surplombe le chœur, sont enluminés comme un livre, complètement illustrés de fresques du XVe siècle. Bien n’est plus surprenant que de rencontrer à ces hauteurs, en pleine Alpe, à l’écart de tout, dans ce défilé parcouru par un vent éternel, cette espèce de missel ou cet écrin d’images, cette Arena en miniature. Canavesi a représenté en quarante fresques, d’un style violent et raboteux, la Vie de Jésus depuis la naissance de la Vierge jusqu’au Jugement dernier. Les parois latérales développent abondamment le récit de la Passion. Parmi les peintres du pays, le chapelain piémontais est le peintre d’histoire ; il a le génie épique. Il ne tarit pas en épisodes d’une imagination triviale et turbulente. Ses personnages se livrent à une pantomime furibonde. Il a le don qui plaît aux foulés, le don de l’action. Tout est plein de saillies tumultueuses et bouffonnes. On sent à mille détails l’influence des Mystères ; comme au théâtre, aucune hésitation possible : bis bons et les méchans sont désignés du doigt. Sans doute, l’auteur échoue à revêtir Jésus d’une beauté idéale ; mais il rend les bourreaux grotesques et terribles. Avec une verve grossière