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gros personnages invités à prix d’or chez les princes, compagnons légers d’escarcelle et cherchant fortune par le monde en voyant du pays. Ici ou là, selon l’occasion, le besoin, quelqu’un se détache de la bande, exécute une Madone moyennant le vivre et quelques écus, et repart pour recommencer à l’étape suivante, sans laisser d’autre trace qu’un tableau anonyme dans l’ombre d’une chapelle. D’autres fois le chemineau, parti pour un lointain pays, n’arrivait pas, s’éternisait dans son gite d’un soir, et finissait par s’y fixer, oubliant patrie et voyage, et travaillant sur place jusqu’à son dernier jour.

Combien de tableaux « niçois » sont l’œuvre de ces passans ou de ces adoptés ? De là beaucoup de disparates ou de nuances différentes. Les peintres du pays eux-mêmes font leur apprentissage au dehors. Il n’y a pas d’ « école » à Nice : d’une génération à l’autre, nulle cohésion, nulle continuité. L’unité tout extérieure qui se remarque dans les œuvres, la répétition des mêmes types et des mêmes sujets, ne tient qu’aux exigences d’un public attaché à ses habitudes, et qui n’eût supporté aucune innovation dans les choses destinées à un culte religieux. Dans les montagnes, les goûts ne changent guère ; l’existence s’écoule plus lentement qu’ailleurs ; peu de commerce, point de luxe, nul mouvement d’idées. La peinture reflète ces âmes immobiles. Elle semble d’un demi-siècle en retard sur l’art contemporain. Tout demeure soumis à des conventions étroites et tyranniques. La pensée tourne dans une sphère à peu près invariable. On pénètre dans un monde à part, dans une province endormie, dont aucun événement ne trouble le sommeil et ne distrait le rêve.

Ce sont, huit fois sur dix, de ces tableaux, imposans comme des litanies, et du genre appelé « tableaux de majesté. » On voit au centre, dans une attitude hiératique, le personnage sous le vocable duquel est placé le retable : c’est le plus souvent la Vierge, représentée soit comme patronne de confrérie, soit comme Mère de douleurs ; c’est quelquefois saint Jean-Baptiste, ou encore quelque saint populaire de la Provence, saint Honorat, saint Maur, saint Antoine, sainte Marguerite. Autour de cette figure centrale, ordinairement distinguée par des proportions plus grandes, se placent symétriquement et sur la même ligne un certain nombre d’autres désignées par des attributs : saint Sébastien porte sa flèche, saint Roch indique son ulcère, saint