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naît pour eux le droit d’intervenir ; qu’elle pourrait, elle aussi, en prolongeant les hostilités, se trouver acculée, comme l’a dit M. Bissolati dans le Secolo « ou à une guerre chronique ou à une politique de catastrophe ; « que, malgré le décret d’annexion dont tous ses amis déplorent les conséquences, elle pourrait honorablement accepter une paix qui laisserait les deux provinces sous la suprématie religieuse et même sous la souveraineté nominale du Sultan, tandis qu’elle en aurait elle-même l’administration ; qu’il lui resterait à en faire la conquête, mais que cette conquête deviendrait, dans ces conditions, moins difficile ; qu’au surplus la masse laborieuse et active des Italiens a intérêt, malgré les exagérations des feuilles nationalistes, à une prompte pacification ? Tel serait le langage de la raison et de la justice. L’Europe est-elle en état de le tenir ? Et serait-il entendu ? On en peut douter. Il semble pourtant, à certains signes, que l’intransigeance des deux gouvernemens belligérans commence à s’atténuer. On parle de réunir une conférence européenne. Mais, ou bien son programme et les solutions auxquelles elle devrait aboutir seraient arrêtés d’avance, et alors ne pourrait-on trouver, sans un tel appareil diplomatique, la combinaison qui permettrait de rétablir la paix ; — ou bien son programme ne serait pas limité, et alors la question de Crète, la question des détroits, celles de Macédoine, d’Albanie, du Sandjak de Novi-Bazar, c’est-à-dire toute la question d’Orient, y seront posées et nous assisterons à un nouveau congrès de Berlin qui deviendra, pour l’Allemagne, l’occasion d’un nouveau succès diplomatique. Une procédure si compliquée et si fertile en surprises dangereuses est-elle indispensable ? La formule de la paix, dans l’état actuel des choses, après la proclamation de l’annexion, ne peut sortir que d’une équivoque ; est-il bien nécessaire de réunir une conférence pour aboutir à une équivoque ? Ne suffirait-il pas qu’un gouvernement, d’accord avec ses alliés et ses amis, prit, au seul point de vue de l’intérêt général, l’initiative de proposer et de faire accepter la solution amiable qui devient de jour en jour plus nécessaire? S’il échouait, il aurait du moins dégagé sa responsabilité des événemens graves que l’avenir tient peut-être en suspens.


RENE PINON.