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bonne volonté a été réduite à des démarches platoniques à Rome et à Constantinople, à des tentatives timides et inopérantes de médiation. Le rôle d’intermédiaire ne pouvait être que stérile dans une conversation où l’Italie disait « tout » et la Turquie « rien. »

Dans l’état actuel des choses, les Turcs n’ont pas subi d’échec assez grave pour les obliger à accepter la paix ou pour permettre à l’Europe de la leur imposer. Ils souffrent peu de la guerre qui ne leur coûte presque rien puisqu’ils ne peuvent pas ravitailler leur armée, et quand les Italien s menacent les Dardanelles, bombardent les ports ou inquiètent les navires, ce ne sont pas les Turcs qui en pâtissent, car ils n’ont pas de commerce, mais les neutres. Bien plus, les Turcs tirent parti de la guerre ; elle a donné une cohésion nouvelle aux musulmans de l’Empire ; elle est, pour les Jeunes-Turcs du Comité Union et Progrès, un moyen de gouvernement, une raison de perpétuer au pouvoir leur dictature ; la paix avec la cession du vilayet africain serait leur faillite comme gouvernement autoritaire et comme gouvernement nationaliste. Les Italiens ont fait une démonstration à l’entrée des Dardanelles, mais ils n’ont pas essayé de forcer le détroit. Ils occupent maintenant une à une les îles de l’Archipel. Le général Ameglio, débarqué à Rhodes avec des troupes, a obligé la garnison turque de l’ile à se rendre. En réponse les Turcs expulsent de Smyrne les sujets italiens. Aucune de ces mesures n’est décisive : leur but est surtout d’exercer une sorte de pression morale sur l’Europe en multipliant les inconvéniens qui résultent pour les neutres de l’état de guerre. L’occupation des iles a cependant pour résultat de mettre entre les mains des Italiens un objet d’échange, un territoire à restituer, donc un sujet de conversation diplomatique. Elle commence à inquiéter les Turcs à cause des sympathies que les habitans grecs de l’Archipel témoignent aux soldats italiens ; mais on est convaincu à Constantinople que l’Europe n’admettrait pas que l’Italie gardât les iles dont la possession lui donnerait une situation prépondérante dans la mer Egée et détruirait l’équilibre oriental. La guerre entre donc dans sa seconde phase, sa phase généralisée ; elle est d’autant plus dangereuse pour l’Europe. Si les Italiens triomphent, l’exaltation nationaliste sera telle, chez eux, qu’ils deviendront des voisins gênans dans la Méditerranée et en Afrique du Nord et que,