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près le mirage africain et qui reviennent désenchantés ; l’ardeur patriotique des réservistes appelés sous les drapeaux se refroidit. La dernière élection de Venise (en mars) a, pour la première fois, posé la question de l’utilité de la guerre ; elle a été un succès pour les partisans de l’expansion, mais le candidat socialiste qui blâmait ouvertement l’expédition de Tripoli a recueilli une forte minorité. Le député de Felice, qui avait été l’un des plus chauds partisans de la conquête tripolitaine, vient de confesser ses déceptions dans des lettres écrites de Tripoli à l’Avanti ; il annonce qu’il apportera à la tribune de la Chambre de graves révélations sur les origines de l’expédition et sur le rôle du Banco di Roma. Certes, l’âme italienne saura soutenir jusqu’au bout l’entreprise commencée où elle estime actuellement son honneur engagé, mais lorsqu’il ne s’agit que d’une entreprise coloniale, il est d’un gouvernement sage de mesurer les bénéfices aux frais et aux risques. Le Cabinet de Rome a sans doute fait ce calcul. Malheureusement il a lui-même, en décrétant, puis en faisant voter par les Chambres, l’annexion de la Tripolitaine, rendu les négociations singulièrement difficiles.

Il est malaisé de comprendre les raisons qui ont, subitement, décidé M. Giolitti à un acte aussi imprudent. A-t-il voulu donner à l’impatience de l’opinion une satisfaction provisoire, mais illusoire? A-t-il cherché à prévenir des offres de médiation qu’il eut peut-être été difficile de décliner? S’est-il proposé de régler dès maintenant et, comme disent les chirurgiens, par une opération en un temps, le sort futur de la Libye sans passer par les deux étapes que l’annexion de la Bosnie a franchies? Nous ne saurions le dire. En tout cas, l’annexion a été une « erreur grossière, » — le mot, que nous ne nous permettrions pas nous-même, est de M. le député Leonida Bissolati dans le Secolo. — Le Cabinet de Rome cherche aujourd’hui à pallier les effets de sa précipitation. L’annexion n’aurait dû être que consécutive à l’occupation, de même que « la reconnaissance du fait accompli, » que certains journaux italiens suggèrent aux puissances européennes, ne saurait venir qu’après l’accomplissement du fait. Malgré leur désir de mettre fin aux hostilités, les puissances, depuis l’annexion, n’arrivent pas à trouver un terrain d’entente, une formule qui laisserait au Sultan une suzeraineté de droit et donnerait à l’Italie une possession de fait. Leur