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la valeur. Elles s’imposent de toute manière, même si le gouvernement de Constantinople conclut la paix avec l’Italie, car la paix ne désarmerait pas les Arabes ; ils n’ont jamais obéi au Sultan et ils lui obéiraient moins que jamais s’il leur enjoignait de se soumettre aux chrétiens. Il est même douteux que les soldats réguliers turcs puissent quitter la Tripolitaine pour venir s’embarquer dans un port occupé par les Italiens, les Arabes ne le leur permettraient pas et tourneraient leurs armes contre eux. Quant aux officiers, la plupart d’entre eux trouveraient sans doute le moyen de rester en face des Italiens. Ce n’est qu’avec le temps, par une politique indigène habile, en gagnant des influences religieuses, en distribuant adroitement des subsides et des cadeaux que, peu à peu, on amènera l’armée turco-arabe à se désagréger d’elle-même ; mais il faudra quelques coups vigoureusement appliqués pour amener sa dispersion définitive, assurer la pacification du pays et la possibilité de faire œuvre de colonisation. La guerre en Tripolitaine et en Cyrénaïque est donc une chose, et l’action militaire ou diplomatique dans d’autres parties de l’Empire ottoman en est une autre. Ces deux ordres de faits, tout en ayant des répercussions et des incidences réciproques, sont indépendans l’un de l’autre.


VI

Les premières semaines de la guerre montrèrent que la diplomatie du roi Victor-Emmanuel avait bien choisi son heure ; l’opinion quasi universelle jugea sévèrement l’agression italienne, mais les chancelleries gardèrent une attitude de neutralité sympathique. M. di San Giuliano, après les coups de canon de Preveza, affirma le désir de son gouvernement de ne pas ébranler le statu quo dans les Balkans. A l’appel qui leur fut adressé le 30 septembre par la Porte, les puissances répondirent par une fin de non recevoir. On espérait alors que la guerre ne durerait pas longtemps, que la Tripolitaine se défendrait à peine et qu’une intervention diplomatique rétablirait la paix. La guerre plaçait l’Allemagne dans une situation particulièrement délicate, en mettant aux prises l’Italie son alliée et la Turquie son amie et en compromettant ses intérêts économiques dans l’Empire ottoman. Les journaux ne se gênèrent pas pour critiquer avec acrimonie la conduite des Italiens que quelques-uns qualifièrent