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près toutes les côtes, mais bien que déjà plus de cent vingt mille hommes aient été débarqués en Afrique, ils n’ont, ni en Tripolitaine ni en Cyrénaïque, atteint le plateau intérieur ; ils n’ont pas infligé à leur adversaire une défaite décisive. Leurs succès mêmes restent stériles parce qu’ils ne les poursuivent pas et que, la plupart du temps, ils se contentent de repousser des attaques. Actuellement, retranchés dans des forts et derrière des levées de terre, protégés en seconde ligne par les canons de la flotte, ils ne sont maîtres en réalité que du sol foulé par leurs troupes. C’est dans cette position, avec des installations forcément défectueuses, que va les assaillir l’été saharien, pendant lequel la chaleur torride, les coups de khamsyn, les tempêtes de sable brûlant qui oppressent les poitrines et angoissent les cœurs, rendent toute marche, toute activité mortelle aux Européens. Les Arabes, au contraire, se retireront chez eux, dans des conditions de climat et de vie auxquelles ils sont accoutumés et profiteront des occasions pour pousser de dangereuses pointes offensives. Les Italiens vont faire, cet été, la très rude expérience des guerres coloniales.

La tactique adoptée par les généraux italiens et confirmée à la suite du voyage du général Caneva à Rome parait bien être la plus sage. L’offensive était possible pendant les premières semaines ; elle ne l’est plus ; elle ne le sera plus tant que les Italiens n’auront pas constitué, — comme le firent les Bugeaud, les Lamoricière, — des troupes spéciales, entraînées à la guerre africaine et saharienne. Avec des troupes indigènes bien payées et solidement encadrées, des ascaris de l’Erythrée, des compagnies d’infanterie et des batteries de montagne montées sur des mulets et sur des chameaux, des unités constituées avec des soldats rengagés restant volontairement dans la colonie pour s’y faire une carrière suivie d’une retraite, ils pourront prendre l’offensive et, en constituant des colonnes à la fois très fortes et très mobiles, venir à bout de leurs adversaires. L’expérience formera, peu à peu, des chefs parmi les officiers. Les jeunes soldats venus d’Italie doivent autant que possible être éliminés, ou tout au moins maintenus sur le littoral, comme troupes de seconde ligne et de défensive. Ces vues sont, d’ailleurs, celles de l’état-major italien ; elles ont été notamment exposées avec force, dans une lettre publiée par la Preparazione, par le général Ameglio, commandant de la division de Benghazi, actuellement chargé de l’occupation de Rhodes, l’un des chefs dont la guerre a révélé