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noble des passe-temps, le chemin de la fortune et le parvis du Paradis. On assure qu’ils auraient réuni jusqu’à 40 000 hommes ; ils ont des mitrailleuses venues à dos de chameau par l’Egypte. Dans ces steppes et ces déserts, où une armée européenne ne pourrait subsister, les indigènes vivent des ressources du pays auquel ils sont accoutumés. Les Arabes, comme nos guerriers du moyen âge, viennent passer quelques jours à l’armée, munis d’une poignée de dattes et d’un peu de farine, brûlent de la poudre et s’en retournent chez eux pour revenir au premier appel ; ils n’abandonnent ni leurs familles, ni le soin de leurs maigres cultures. Dans leur pays, dans ce désert dont toutes les pistes leur sont familières, dans ces oasis dont ils connaissent le dédale de murs en pierres sèches, de ruelles, de masures, de levées de terre, de palmiers et de figuiers, commandés par des officiers rompus aux méthodes européennes, l’Arabe serait un adversaire redoutable même pour une armée aguerrie, à plus forte raison pour des troupes composées de jeunes soldats et d’officiers qui n’ont pas l’expérience de cette guerre spéciale qui demande une longue initiation et une particulière endurance.

L’armée turco-arabe reconstituée prit l’offensive. Le 23 octobre, elle attaquait les lignes italiennes dans l’oasis de Tripoli, mettait en déroute et tournait l’aile gauche du général Caneva, pénétrait dans les jardins, d’où, mêlée aux habitans, elle prenait à revers les tranchées des Italiens et leur infligeait des pertes sensibles. Une terrible confusion s’ensuivit à laquelle la nuit mit à peine fin. Trois jours après, le 26, les Turco-Arabes recommencèrent leur attaque ; les Italiens les repoussèrent, mais avec peine. Pendant quelques jours il y eut un peu d’affolement dans le camp italien ; on rendit les habitans responsables des coups de fusil tirés par derrière sur les soldats qui occupaient les tranchées et des exécutions sommaires commencèrent. La découverte, dans une partie de l’oasis enlevée aux Turcs, de prisonniers italiens massacrés et horriblement mutilés mit le comble à la fureur des soldats. Ces exécutions étaient-elles nécessaires à la sécurité de l’armée? Il est difficile d’en juger. Mais il est certain que, de ce jour, c’en fut fini pour longtemps des projets d’entente avec les Arabes. Les journées des 23 et 26 octobre sont décisives dans l’histoire de la guerre ; l’esprit des soldats et même celui des chefs en demeura frappé ; ils perdirent non pas certes le courage, mais l’entrain offensif. Ils ont depuis occupé à peu