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Les premiers jours de la campagne lurent très brillans pour les Italiens : les soldats réguliers turcs n’étaient guère que de 3 000 à 4 000 environ et privés de chefs ; ils se retirèrent hors de la portée des canons de la flotte, jusqu’au pied du plateau intérieur. Les soldats italiens, pleins d’ardeur et d’enthousiasme, encouragés par leurs premiers succès, ne demandaient qu’ à marcher en avant, et peut-être, à ce moment, une offensive vigoureuse aurait-elle pu amener la capitulation ou la dispersion des Turcs. Les Italiens crurent qu’ils pourraient rallier à leur cause les Arabes qui ne supportaient pas sans impatience la domination ottomane ; les journaux annoncèrent qu’un descendant de l’ancienne dynastie indigène des Karamanis allait devenir un utile auxiliaire pour l’organisation d’une sorte de protectorat. Ce personnage s’est, en effet, mis au service des Italiens, mais ses coreligionnaires ne l’ont pas suivi : en face de l’envahisseur chrétien, les Arabes oublièrent leurs griefs et fraternisèrent avec les Turcs. Il se produisit, dans tout l’Orient ottoman, un mouvement général de solidarité musulmane. Les Arabes de Syrie qui, dit-on, se disposaient à combattre le régime du Comité Union et Progrès, renoncèrent à leurs projets. Au Yémen, l’iman Yaya fit sa paix avec le gouvernement du Sultan et renonça à une guerre interminable qui avait coûté aux Turcs tant d’hommes et tant d’argent : on vit même une partie de ses guerriers passer la Mer-Rouge pour aller combattre les Italiens en Tripolitaine. C’est pour arrêter cette migration que les Italiens exercent une surveillance active dans la Mer-Rouge ; ils y ont coulé les petits bâtimens turcs qui s’y trouvaient et bombardé Cheik-Saïd. Les Arabes de Tripolitaine et de Cyrénaïque affluèrent au camp turc ; il y vint jusqu’à des noirs des oasis, des Touareg du Fezzan, de Rhât et de Rhadamès, des gens du Tibesti et du Borkou. Il semble que jusqu’ici le chef de la puissante organisation des Senoussis n’a pas donné le signal de la guerre sainte, mais beaucoup de fidèles n’ont pas attendu ses ordres. De Constantinople arrivèrent, par les frontières de l’Egypte ou de la Tunisie, sur lesquelles il est impossible, dans le désert, d’exercer une surveillance efficace, des officiers jeunes-turcs, élevés dans les écoles allemandes, tels que Enver-bey et Fethi-bey ; ils prirent la direction de l’armée, assurèrent aux Arabes toujours faméliques une paye suffisante, établirent une discipline, enflammèrent l’enthousiasme de ces guerriers pour qui la bataille est le plus